Avions sans pilote contre têtes de linotte :
l'affaire du drone genevois

21 novembre 2004

ADS 95L

a demande genevoise d’employer un drone de l’armée pour appuyer la police a été tournée en ridicule dans les médias. Mais l’ignorance et le désintérêt des commentateurs en matière de sécurité deviennent alarmants.

L’affaire a été révélée par Le Temps le 6 novembre dernier : l’Etat de Genève a fait appel courant octobre à l’armée pour obtenir l’engagement d’un drone d’exploration ADS 95 afin de lutter contre les incendies intentionnels de voitures.

La conseillère d’Etat Micheline Spoerri, affirmant que de telles déprédations relevaient du terrorisme, a ainsi écouté les suggestions de ses subordonnés et demandé l’obtention d’un avion sans pilote pour surveiller de nuit les rues genevoises et détecter les départs de feu.


«... La fin des distinctions entre sécurité intérieure et extérieure, entre civil et militaire ou entre crime et combat exige une transformation des organes de sécurité allant dans le sens d'une collaboration étendue. »


Avec une belle unanimité, les médias ont promptement tourné en ridicule cette démarche. Sans approfondir le sujet, vérifier les informations disponibles ou en rechercher d’autres sur l’emploi des drones dans la sécurité intérieure, les commentateurs ont vilipendé madame Spoerri – l’inconsciente ! – pour recourir aux services d’un « avion espion », proposer des mesures disproportionnées, surréagir à quelques incendies anodins, dilapider les deniers publics ou encore mettre en péril la protection de la sphère privée.



Ignorance et désintérêt

Ainsi, on a vu Ariane Dayer s’insurger dans Le Matin contre un coût estimé à 9900 francs par heure de vol alors que des économies devaient être faites « sur le dos de la fonction publique », comme si le budget de fonctionnement des Forces aériennes avait quelque part un lien avec les caisses de l’Etat de Genève. On a également vu Christian Bernet dans la Tribune de Genève affirmer que les drones seraient uniquement conçus pour les opérations de guerre – la Gendarmerie française a pourtant utilisé les siens durant le G8 d’Evian… – et impliquent « une atteinte très forte à la sphère privée. » Sans préciser laquelle, d’ailleurs.

Bien entendu, lorsque madame Dayer écrit qu’employer l’armée au profit de la police « mêle dangereusement les pouvoirs », on mesure l’ignorance qui entoure aujourd’hui encore l’évolution de la sécurité intérieure et le principe des engagements subsidiaires, dont les autorités civiles assurent la responsabilité. Mais comme quelques secondes de recherche sur Internet suffisent à montrer que l’emploi des drones dans la détection d’incendie est par exemple devenu une fonction classique, on constate que l’ignorance se double d’un désintérêt marqué pour les problèmes de sécurité.

Si les commentaires moqueurs avaient fait place à une recherche sérieuse sur le sujet, les Genevois auraient ainsi appris que le système d’exploration accroché sous le drone ADS 95 a déjà volé dans leur ciel, durant le G8, grâce à un Super Puma FLIR de l’armée qui a rendu des services inestimables aux forces de police. Ils auraient également constaté que les images fournies par ce système, dans le domaine infrarouge, permettent de détecter la présence d’un être humain ou de différencier une limousine d’un break, mais pas d’identifier une personne ou une voiture précise. Ni bien sûr de voir à travers les fenêtres !

Il est certes impossible de suivre Micheline Spoerri dans l’assimilation d’incendies criminels à une forme de terrorisme. De même, il faut regretter l’erreur méthodologique consistant à demander un système précis à l’armée au lieu d’une prestation à fournir. Malgré cela, un drone d’exploration engagé de nuit au-dessus d’une grande ville, et sans l’hélicoptère d’accompagnement obligatoire de jour pour éviter les collisions, peut détecter immédiatement et discrètement des sources de chaleur anormales dans un quartier donné ou le long de certaines rues. Son utilité ne fait aucun doute.

Aujourd’hui déjà, l’armée appuie de manière décisive les forces de sécurité civiles par du personnel et des moyens de transport, d’exploration ou de communication qu’elle seule possède. Cet engagement va certainement s’accroître, et il est probable que dans un futur assez proche nous assistions à une intégration civilo-militaire modulaire, avec la création de forces de circonstances assemblées à partir d’éléments de l’armée, des polices et des garde-frontières, et commandées par l’une ou l’autre entité en fonction de la mission.

La fin des distinctions entre sécurité intérieure et extérieure, entre civil et militaire ou entre crime et combat exige une transformation des organes de sécurité allant dans le sens d’une collaboration étendue. La persistance des oppositions dogmatiques à l’emploi de l’armée au profit des autorités locales devient dès lors alarmante. Il est grand temps d’accepter l’évolution de notre environnement, d’imaginer des réponses concrètes aux facteurs de subversion ou de violence, et donc de préférer le bruissement des avions sans pilote aux glapissements des têtes de linotte.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  








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