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Les ironies d'une guerre sans précédent
dans l'histoire militaire

14 mars 2003

Convoi de Marines, 31.3.03L

'opération "Iraqi Freedom" menée par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie sur une terre riche en batailles antiques a également été l'occasion de souligner des paradoxes et des ironies marquants. De la prétention des journalistes occidentaux aux contradictions des intellectuels arabes, Victor Davis Hanson en dresse l'inventaire.

Les Marines viennent de traverser le champ de bataille de Cunaxa, où en 401 avant J.-C. 10'000 mercenaires grecs n'ont eu qu'un seul blessé dans leur accrochage avec les troupes impériales d'Artaxerxés. Sur le front nord, les Américains sont passés près de Gaugamélès, où les troupes de choc d'Alexandre le Grand ont détruit l'énorme armée de Darius III en ne perdant qu'une centaine d'hommes avant de fondre sur Babylone. Nous pouvons être la génération la plus riche et la mieux instruite de l'histoire, mais certaines choses paraissent ne jamais changer. L'Occident combat et gagne toujours en Orient, dans les mêmes lieux anciens.


«... Il est presque impossible de trouver une avance qui s'est poursuivie si loin, si vite, avec si peu de pertes et sans pénurie majeure de carburant, de munitions et de nourriture. »


En effet, il est difficile de ne pas reconnaître que le guerre semble inhérente à l'espèce humaine. De tels affrontements démodés entre des milliers de soldats étaient censés appartenir à un âge révolu, et non être revisités dans une ère post-héroïque d'hommes et de femmes savants. Mais jusqu'à ce que la nature de l'être humain change, la guerre va toujours nous accompagner tragiquement, et il est précieux de noter les ironies du présent conflit, qui sont aussi vieilles que l'idée au XIXe siècle d'un progrès fait d'invasion, de libération et d'occupation.


Avance rapide et force mesurée

Les grandes avances entraînent souvent des risques énormes parce que lorsque les colonnes s'enfoncent profondément en territoire ennemi, les lignes de communication s'allongent et les interminables convois qui apportent la nourriture, l'eau et le carburant d'un arrière de plus en plus lointain consomment parfois durant le transit ces mêmes approvisionnements qu'ils transportent. Napoléon, les Panzers de 1941 et même George S. Patton, tous ont été affecté par leur rapidité et par l'extension de leurs propres avancées. Ils ont tous finalement épuisé leurs approvisionnements, même lorsque leurs armées se sont graduellement réduites de manière à tenir le terrain capturé à l'arrière.

Sherman échappa à ce paradoxe – mais seulement en faisant nourrir son armée par la campagne, étant convaincu que pour une société terrienne comme celle des Confédérés, ce serait presque un sacrilège pour des propriétaires de plantation que de brûler leurs propres terres sur le chemin des armées de l'Union. Alexandre le Grand cachait par avance ses approvisionnements, mais même lui se trouva dépourvu, et ruina finalement son armée non loin du désert de Gédrosie.

Il est par conséquent presque impossible de se rappeler une avance similaire qui s'est poursuivie si loin, si vite, avec si peu de pertes et sans pénurie majeure de carburant, de munitions et de nourriture – et sans être un parasite pour la campagne environnante. Ce qui s'est passé durant les trois dernières semaines est sans précédent dans l'histoire militaire.

T-55 irakien détruit

Nous avons également vu l'application du paradoxe antique selon lequel les armées d'invasion doivent montrer suffisamment de force pour impressionner les populations locales, mais pas assez pour qu'elles sombrent dans une brutalité qui peut susciter une contre-insurrection. Les Russes ont salué les Panzers en 1941, mais ils ont rapidement rejoint les partisans dès qu'ils ont appris que les nazis étaient à la fois brutaux et vulnérables. Alexandre a essayé de revêtir des robes perses et le fez, d'arranger des mariages de masse entre Macédoniens et Iraniens, mais même lui a été presque submergé par des guérillas locales en Afghanistan dès qu'elles ont senti que ses forces allaient s'amenuisant lorsqu'elles se déplaçaient à l'est. Dans ce contexte, il est à nouveau remarquable que la coalition s'est révélée capable de percer avec suffisamment de force pour intimider des miliciens potentiels, mais sans apparaître tellement sauvage qu'elle susciterait la répugnance des civils.


«... Le propre du conflit actuel est d'utiliser suffisamment de force pour briser la résistance, mais pas trop pour perdre le soutien politique par l'image abrupte de la létalité. »


Il a toujours été caractéristique des armées occidentales d'employer la puissance de feu, la discipline et le choc pour écraser leurs ennemis par le combat frontal. Mais le propre du conflit actuel, sous les yeux du monde entier grâce aux communications globales instantanées, est d'utiliser suffisamment de force pour briser la résistance, mais pas trop pour perdre le soutien politique par l'image abrupte de la létalité. Ce qui a amené cette scène surréaliste des barbiers de Bagdad au troisième jour, se moquant devant leurs clients des bombes creuses et de la faible campagne aérienne des Alliés, alors même que des reporters occidentaux comparaient la campagne "choc et stupeur" à Dresde et à Hambourg.

En vérité, la décision de renoncer à une longue campagne de bombardement pour préserver l'infrastructure de l'Irak et devancer le nihilisme de Saddam était courageuse et astucieuse. Et elle devrait enfin être reconnue pour ce qu'elle est : aussi audacieuse que le choix d'Eisenhower de prendre d'assaut les plages normandes dans la tempête.



Contradictions et erreurs de jugement

Quand les Irakiens ont tiré des roquettes dans des installations américaines en déchiquetant deux journalistes, le monde est resté coi. Au contraire, lorsque nos troupes au sol ont répondu au feu de tireurs dans un hôtel où des fonctionnaires baasistes étaient intégrés aux reporters, tuant tragiquement trois journalistes, le globe s'est enflammé d'indignation. Sans doute scotchés aux consuls visuels de CNN, les jeunes Américains dans les chars sont apparemment supposés crever plutôt que risquer de mettre en danger une foule de journalistes élitistes au cœur de la guerre, qui savaient pertinemment être logés et utilisés par des fascistes. Comme si les charistes de Patton n'auraient pas répondu au feu de tireurs embusqués dans un hôtel de la France vichyste parce que les nazis avaient permis à des correspondants d'UPI ou d'AP d'en occuper la véranda.

Le ministre irakien de l'information – surnommé Baghdad Bob – assurait les habitants du monde arabe que pas un seul Américain n'était en vue. Plus tard, le même soir, Larry King recevait un panel de journalistes stupides et de généraux en retraite qui discutaient ces discours opposés et ces "vérités" alternatives – pendant que le "concept subjectif" des chars américains roulait dans la ville, inconscient aussi bien des mythomanies orientales que des analyses postmodernes rebattues. 

Bâtiment bombardé à Bagdad

Les Forces armées souffrent elles-même d'un autre paradoxe inévitable. Leur succès permet à la liberté et au capitalisme de créer une classe énormément riche et parfois suffisante qui oublie comment et pourquoi son confort est maintenu dans le présent et assuré pour l'avenir. Je pense que MM. Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz, lorsque ceci sera terminé, auront fait une grande faveur à des millions d'Irakiens et fourni aux Américains une sécurité accrue, mais je ne m'attends pas à ce qu'ils gagnent un concours de popularité pour tous leurs efforts. Ne pensez pas que Walter Cronkite, Arthur Schlesinger, David Halberstam, Susan Sontag et une foule d'autres qui ont prédit un "nid de frelons" cauchemardesque et une catastrophe diplomatique américaine en Irak admettront leur erreur. Plus probablement, de tels critiques vont commettre une inflation d'outrances et d'erreurs de jugement en prédisant un terrorisme sans fin pour compléter leurs pronostics lugubres sur les Taliban et les Saddamites. 


«... S'attaquer à 250'000 assassins dans une population de 26 millions tout en essayant d'éviter de toucher des innocents et des sanctuaires ennemis semble presque impossible. »


De plus, les diplomates et les apôtres de la paix vont probablement s'imposer et être maintenant célébrés lorsque les souvenirs du fer et de la fumée s'évanouiront ; leur discours nous rassurera tellement que nous oublierons les hommes plus sévères qui nous ont autorisés un tel luxe. Ainsi Dominique de Villepin, qui a sans honte monopolisé les actualités du monde avant la guerre, n'a rien fait pendant celle-ci, et à présent est de retour ; lorsqu'il sent que le danger est passé et que l'argent est à portée, il est une fois de plus temps de parler élégamment et d'agiter les bras. Que des femmes américaines et britanniques aient courageusement combattu des ennemis vivants pendant que quelques Français attaquaient les tombes d'amis décédés semble lui avoir échappé.

Imaginez un fonctionnaire pontifiant de l'ONU, tout juste sorti de l'holocauste balkanique et essayant dans l'Irak d'après-guerre d'enquêter sur les assassins et les tortionnaires baasistes : "On pourrait affirmer que le niveau de preuve nécessaire pour inculper un suspect baasiste ne répond pas aux critères de la Cour pénale internationale – et on pourrait affirmer qu'il n'est peut-être pas nécessairement aussi responsable du carnage infligé que, disons, un pilote de F-16."  Voulons-nous vraiment entendre une année de ces idioties béates et voir les pays non démocratiques de l'ONU ainsi que leurs apparatchiks bloquer la création de la démocratie dans un nouvel Irak ?

A cet égard, les intellectuels arabes – avez-vous vu leur anxiété devant les scènes de jubilation irakiennes ? – portent un fardeau terrible. Pendant des années, ils ont admirablement appelé à des réformes démocratiques indigènes. Mais les masses arabes ne se sont pas élevées comme la génération de 1776 pour exiger un gouvernement constitutionnel populaire. En réponse, ils ont accusé le soutien américain cynique des hommes forts arabes datant de la guerre froide, en Arabie Saoudite, au Koweït, en Egypte ou en Jordanie. Mais même si nous oublions que les pires tyrans arabes comme Nasser, Kadhafi et Saddam étaient d'origine locale, les Etats-Unis sont enfin en train de déposer un ogre qui a le sang d'un million de musulmans sur ses mains, et ils sont décidés à implanter la démocratie après sa mort. De sorte que l'élite arabe fait face à un dilemme : si le prix de la libération est l'intrusion des armes américaines, doivent-ils plutôt préférer que les musulmans irakiens restent en esclavage ? Devrions-nous redresser les statues de Saddam ou suggérer que les foules à Bagdad ont des illusions de grandeur ?



Un chef d'œuvre militaire

Finalement, des contrastes évidents surgissent entre les deux Guerres du Golfe. L'armée irakienne précédente était ostensiblement plus puissante et a ainsi rendu le premier conflit plus stimulant. Mais en rétrospective, l'épreuve actuelle est en tout état de cause une campagne bien plus ambitieuse et audacieuse. Eradiquer le fascisme n'est pas la même chose qu'expulser une armée du Koweït. S'attaquer à 250'000 assassins dans une population de 26 millions, tout en essayant d'éviter de toucher des innocents et des sanctuaires ennemis dans les mosquées, les écoles, les hôtels et les hôpitaux, semble presque impossible. Voici 12 ans, nous avions la patine du soutien onusien, énormément d'alliés, plus de troupes et une mission limitée ; à présent, nous essayons de prendre un pays entier avec la moitié des forces, et seuls avec les Britanniques et les Australiens.

De plus, bien des choses ont changé depuis 1991. A l'époque, l'Union Soviétique n'avait pas encore complètement disparu, et nos alliés se souciaient toujours de ne pas s'exclure eux-mêmes de notre parapluie nucléaire. Aujourd'hui, alors que la crainte d'une invasion de l'Europe n'est plus qu'un souvenir lointain, cette guerre a offert l'occasion parfaite à beaucoup de nos alliés dans l'OTAN de faire étalage de leurs ressentiments et leurs jalousies accumulés de longue date. En réponse, nous avons haussé les épaules et atteint Bagdad en la moitié du temps et avec jusqu'ici la moitié des pertes qu'il nous a fallu pour aller au Koweït.

Nous ignorons tout de la nature des accords de paix définitifs, mais l'entrée dans Bagdad comme acte de libération et comme chef d'œuvre militaire se situe déjà au même rang que la randonnée d'Epaminondas pour libérer les hilotes, la marche de Sherman et la longue course de Patton jusqu'à la frontière allemande. Pendant ce temps, tout le monde semble avoir critiqué ou tardivement approuvé "le plan" ; mais jusqu'ici personne ne semble vraiment savoir comment 250'000 braves hommes et femmes américains, britanniques et australiens l'exécutent en fait avec succès dans le terrain.




Texte original: Victor Davis Hanson, "The Ironies of War", National Review Online, 11.4.03    
Traduction et réécriture: Maj EMG Ludovic Monnerat
    









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