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Le faux-isolationnisme américain :
un retournement du monde ?

24 août 2003

George W. BushS

oixante ans de guerre froide nous l'avaient fait oublier, mais Washington a toujours oscillé entre deux grands mouvements historiques influençant sa politique étrangère, l'isolationnisme et l'interventionnisme. Les USA pourraient revenir à un isolationnisme cette fois plus nuancé - d'où l'appellation de faux-isolationnisme - aux conséquences directes pour l'Europe.

Le faux-isolationnisme, c'est un repli sur soi plus sélectif que total, qui reste identitaire. Il est réaliste car s'appuyant sur l'intérêt national et l'équilibre des puissances. Rampant dans l'après-guerre du Vietnam ou après l'échec somalien, ce faux-isolationnisme se projette dans les politiques de sécurité intérieure (le patriot act) comme extérieure (le système anti-missiles). C'est une "Grande stratégie" (grand strategy), une politique globale émergeante et qui intègre la variété des intérêts américains.


«... Le dépérissement de l'OTAN nous met face à nos errements : à trop s'appuyer sur elle et les Etats-Unis pour notre sécurité, nous en avions oublié que la politique étrangère US n'était pas mue par nos intérêts. »


Les USA se dirigeraient ainsi vers un système bismarckien, se percevant au centre du monde, hégémoniques sans être impériaux. Ils se voudraient puissance non prédatrice, garante de la paix et assurant le statu quo. Apaisant les rivalités régionales, tout en maintenant sa propre supériorité, ils voudraient d'abord éviter l'avènement d'un concurrent.



Une chance ou une catastrophe

A cette fin, les USA se désengagent ainsi de toute norme jugée contraignante, du protocole de Kyoto à la Cour Pénale Internationale en passant par la prolongation de la Convention sur les armes biologiques. Les organisations internationales ne sont plus alors pour eux que des organes subsidiaires, légitimant plus ou moins des actions de plus en plus unilatérales. Emergente sous Clinton, cette tendance franchit un seuil avec Bush.

Economiquement, le faux-isolationnisme se marque par un protectionnisme économique d'opportunité. Qu'il s'agisse de l'acier, des subventions à l'agriculture ou même du bois canadien, les Etats-Unis se lancent dans une optique ou l'Autre passe du statut de concurrent à celui d'adversaire. Cette vision est un retour en arrière par rapport aux thèses sur le libre-échange à tout crin et laisse l'OMC orpheline d'une partie de la puissance d'un ses principaux moteurs. Du moins, tant que l'économie américaine ne se sera pas rétablie.

Une guerre économique alternant protectionnisme, libre-échange et actions offensives pourrait devenir une norme en soi, sacralisant l'intérêt. Le drainage des cerveaux, le rachat de Gemplus (le leader mondial de la carte à puce) ou de QinetiQ (un laboratoire militaire britannique) est, au demeurant, exemplaire d'une stratégie de "succion technologique". Dans la même optique, nous pouvons nous demander si une guerre en Irak n'a pas pour visée indirecte d'affaiblir une Europe qui, en tant que première puissance économique mondiale, est d'abord un adversaire pour Washington. Une guerre en Irak aurait des conséquences fâcheuses sur notre économie, car les approvisionnements pétroliers US sont plus diversifiés que les nôtres et nous commerçons plus avec le Proche et le Moyen-Orient qu'eux.

Militairement, tous les moyens doivent alors être mis en œuvre. Les intentions incertaines des acteurs et les évolutions possibles des menaces impliquent la diversification des stratégies. On construit alors un "spectre des menaces" allant du terrorisme aux armes de destruction massive en passant par des conflits interétatiques moins probables, mais plus intéressants. L'ennemi, au moins, y est clair - tout le contraire du terrorisme. Ce faisant, Washington contribue à rendre le monde moins lisible et plus incertain : la menace dépasse la rationalité et instrumentalise les discours. Le sens, comme les preuves, se perdent.

Les interventions sont alors plus sélectives. Les cibles sont traitées à distance en minimisant les contacts, laissant sur place des gouvernements qui seraient acquis à Washington avant qu'elle ne se désengage. Ses intérêts lui interdisent en effet d'en revenir à un isolationnisme stricto sensu, même si le nombre de bases US à l'étranger diminue. Washington "thinks globally, acts locally" : ne se retirant pas complètement, elle garde des options d'intervention, de sorte que les USA ne sont pas pour autant un Empire.

En tant que "gendarmes du monde" ou en terme de style de vie, les USA étaient naturellement des producteurs de normes pris en exemple, une "puissance par l'influence" à laquelle, dans bien des cas, l'Europe n'a pas apporté sa touche. Or, nous pourrions assister à un retournement du monde comparable dans son intensité à la chute du Mur de Berlin.

C'est une chance ou une catastrophe pour l'Europe en tant que puissance éthique, politique, économique ou militaire. Le dépérissement de l'OTAN après la crise de ces dernières semaines nous met face à nos errements : à trop s'appuyer sur elle et les Etats-Unis pour notre sécurité, nous en avions oublié que la politique étrangère US n'était pas mue par nos intérêts. Repliés ponctuellement sur eux-mêmes, les Etats-Unis font perdre au monde leur leadership.

Nous avons le choix entre laisser le monde a sa logique parfois chaotique et produire des normes qui permettront de le faire progresser. Nous entrons dans une fenêtre d'opportunité qui peut nous permettre de reconnaître que l'Europe est porteuse d'un sens. Ce sens intègre mieux les différences de chacun, bien plus que ne pourraient le faire des Etats-Unis ne s'ouvrant au monde que lorsque leurs intérêts le dictent.

Il n'y a pas trop d'Etats-Unis, mais trop peu d'Europe. En attendant, un réveil intelligent et réfléchi de l'Union Européenne, nous sommes dans une période transitoire, entre mondes unipolaire et multipolaire. Durant cette période à la durée indéfinie et à la réalité encore à construire, l'incertitude reste le maître-mot. Il ne nous reste plus à espérer que toutes les sagesses du monde seront avec nos représentants : l'Irak n'est pas un symptôme militaire. C'est une conséquence politique. 



Joseph Henrotin et Tanguy Struye    
Doctorants en Sciences politiques, ULB et UCL (CECRI)    
Réseau Multidisciplinaire en Etudes Stratégiques (RMES)
    









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