Comment les médias, par leur focalisation et leur ignorance, aident et encouragent la guérilla en Irak

23 janvier 2005

Le siège de la BBCL

a grande majorité des soldats américains déployés en Irak ont une perception des événements totalement différente de celle véhiculée par les médias. Un commandant de bataillon de l’US Army, le lieutenant-colonel Tim Ryan, analyse les causes d’un mensonge permanent.

Et si les médias domestiques fournissaient régulièrement aux lecteurs américains des titres tels que « Semaine sanglante sur les autoroutes américaines : près de 700 morts », ou « Plus de 900 Américains meurent chaque semaines de maladies liées à l’obésité » ? Ces deux titres peuvent être exacts au niveau statistique, mais est-ce qu’ils représentent une image précise de la situation ? Que se passerait-il si l’on combinait tous les aspects négatifs de l’Etat du Texas pour les utiliser comme un indicateur de la qualité de vie de tous les Texans ?


«... Les médias servent de loupe à travers laquelle un événement relativement petit peut être magnifié pour prendre des proportions internationales, et l'ennemi exploite cela avec une facilité incroyable. »


Imaginez les titres : « Des éléments illégaux multiplient les cambriolages, les viols et les meurtres à travers les villes du Texas. » En tout état de cause, cette affirmation est vraie pour chaque jour de chaque année dans chaque Etat. Vraie, certes, mais pas dans le contexte des aspects positifs plus nombreux. Après une ou deux années de titres comme ceux-ci, plus d’un citoyen au Texas et dans le reste des Etats-Unis serait probablement prêt à sauter d’un immeuble pour en finir. Alors imaginez être un Américain en Irak aujourd’hui.



Une couverture biaisée et incomplète

Je viens encore de lire une histoire déformée et grossièrement exagérée d’une grande organisation médiatique sur les « échecs » de la guerre en Irak. Les journalistes de la presse écrite et audio-visuelle ne couvrent qu’une petite fraction des événements en Irak, et plus souvent qu’à leur tour les événements couverts sont uniquement négatifs. Une grande partie des journalistes qui font des évaluations publiques sur l’évolution de la guerre en Irak ne sont pas qualifiés pour le faire, étant donné leur formation et leur expérience. L’image imprécise qu’ils décrivent a déformé la vision du monde sur les réalités quotidiennes en Irak. Il en résulte une érosion constante du soutien public international pour les efforts des Etats-Unis sur place, et un renforcement de la résolution et des activités de recrutement des insurgents tout en affaiblissant les nôtres. A travers leur couverture incomplète, mal informée et déséquilibrée, de nombreux membres des médias en Irak aident et encouragent l’ennemi.

En réalité, la coalition fait des progrès constants en Irak, non sans des hauts et des bas. La guerre est une chose terrible et des choses terribles se produisent en guerre, même lorsque vous gagnez. Dans une guerre, comme dans tout affrontement de volontés entre des opposants capables, tout ne se passe pas comme prévu. Cela ne signifie pas que vous perdez. Bien entendu, quelques attaques ennemies spectaculaires se produisent actuellement en Irak, mais la grande majorité de ce qu’il s’y produit est positif. Alors pourquoi les médias soulignent-ils avant tout les aspects négatifs de tout événement, bon ou mauvais ? L’adage journalistique « if it bleeds, it leads » s’applique toujours en Irak, mais pourquoi seulement lorsque le sang est américain ?

Pour prendre un exemple récent, l’opération à Falloujah a infligé un coup absolument dévastateur à l’insurrection. Bien que plus réduite en comparaison, le nettoyage des insurgents à Falloujah est analogue à la percée des Alliés à travers les haies en France durant la Seconde guerre mondiale. Dans les deux cas, nos troupes ont surpassé un ennemi bien préparé et solidement retranché, et qui a peut-être commencé son dernier combat. A Falloujah, les pertes ennemies ont déjà dépassé les 1500 et continuent à croître. Cela constitue une victoire pour nous, non ? Faux. Dès qu’il n’y avait rien de négatif à rapporter sur Falloujah, les médias ont reporté leur attention sur d’autres parties du pays. Hier, on pouvait ainsi lire sur le site web d’une grande agence de presse « Un attentat suicide fait 6 morts à Bagdad » et « Sept Marines meurent dans des accrochages en Irak » [ces titres datent du 13.12.04, note du traducteur]. Exact, oui. Mais pas complet. Est-ce que l’auteur de cet article s’est soucié de mentionner les quelque 50 terroristes que les troupes de la coalition ont tués en subissant ces 7 pertes ? Bien sûr que non. Tout comme il n’y a aucune mention des progrès substantiels que ces opérations offensives continuent de représenter dans la défaite des insurgents. Malheureusement, ce type de reportage incomplet est devenu la norme pour les médias, dont le travail médiocre dans la présentation complète de la situation en Irak s’approche de l’acte criminel.

Une grande part du problème est celui de la perspective, du fait de replacer les choses dans l’ordre et avec équilibre. De là où j’écris dans mon poste de commandement à Camp Falloujah, en Irak, tout ne se passe pas mal actuellement. En fait, cela va plutôt bien. Nous ne sommes pas attaqués par l’ennemi ; au contraire, nous lui imposons chaque jour le combat et nous l’acculons. Au loin, je peux entendre les impacts répétés de l’artillerie lourde et de bombes de 500 livres qui frappent leurs cibles dans la ville. Les quelques détonations des canons des chars et le staccato du canon de 25 mm porté par le LAV du Marine Corps et le VCI Bradley forment la ligne basse d’une symphonie de destruction. En ce moment, alors que les éléments des quatre services des Forces armées US complètent l’annihilation absolue des insurgents restant à Falloujah, le secteur autour de l’ancien bastion est plus paisible qu’il ne l’a été depuis plus d’une année. Le nombre d’attaques dans la province d’Al Anbar a chuté d’au moins 70% à 80% par rapport à début octobre – avant le début de l’opération Al Fajr. L’ennemi dans ce secteur est complètement battu, mais n’a pas entièrement disparu. L’éradication finale des poches d’insurgents prendra du temps, comme toujours, mais il n’en demeure pas moins que le bastion central de l’insurrection est maintenant sous contrôle ami. Cela me semble un succès. Dans ces conditions, pourquoi les journaux ne titrent-ils pas « La coalition écrase les dernières poches d’insurgents » ou « Les forces ennemies recourent à l’attentat suicide contre des civils » ? Cela fournirait une image bien plus exacte de la situation délicate de l’ennemi. A la place, les titres se focalisent presque exclusivement sur nos difficultés.

Qu’en est-il de la description de l’ennemi dans les médias ? Pourquoi ces meurtriers impitoyables, ces kidnappeurs et ces voleurs ont droit à un joker quant à leurs actions ? Qu’est-ce que les médias n’ont pas montré ou dit au sujet de Margaret Hassan, la directrice de CARE en Irak, qui a été enlevée, torturée et jetée, éventrée, dans les rues de Falloujah ? Est-ce que quelqu’un dans la presse a montré ces images encore et encore pour souligner les failles morales de l’ennemi comme cela a été fait avec les soldats d’Abu Ghraib ? Est-ce que quiconque a montré au monde comment cet ennemi avait d’énormes stocks d’armes dans des écoles et des mosquées, ou comment il a utilisé ces endroits protégés comme des sanctuaires pour se préparer et combattre à Falloujah et dans le reste de l’Irak ? Est-ce que les gens de par le monde reçoivent la totalité de l’histoire ? Encore une fois, la réponse est : non ! Ce que le monde a reçu, à la place, ce furent les images d’un Marine affecté par les combats qui a pris la décision rapide d’employer une force létale et qui maintenant est jugé par la presse mondiale. Est-ce que cette action précise est représentative de l’action générale à Falloujah ? Non, mais la séquence vidéo de ce Marine a été montrée en moyenne 4 fois par heure sur chaque grande chaîne TV pendant une semaine. Voilà comment le monde voit nos efforts par ici, et de tels messages sans équilibre font continuellement office de victoires pour la propagande ennemie. Al Jazeera ne montre pas le film de la directrice de CARE, mais montre le clip du Marine. Plus tôt dans l’année, le Gouvernement irakien a expulsé Al Jazeera du pays pour sa couverture biaisée. Vous vous demandez où ils obtiennent maintenant leurs informations ? Si vous allez sur Internet, vous trouverez sur le site d’Al Jazeera un lien vers le site de CNN. Très intéressant.

L’opération à Falloujah n’est qu’un des exemples récents de couverture incomplète des événements en Irak. La bataille de Najaf en août dernier en est un autre. Les télévisions et les journaux ont déversé un courant continu d’images et de récits sur la destruction infligée à la ville sacrée, et sur toute la souffrance humaine prétendument causée par les grands et mauvais Américains. Ces récits et l’absence de tout message opposé ont alimenté le brasier de l’anti-américanisme qui flambe dans cette partie du monde. De l’extérieur, on a vu la coalition être décrite comme une force d’invasion ou d’oppression, tuant des Irakiens impuissants qui, aurait-on pu croire, essayaient simplement de défendre leurs foyers et leur mode de vie islamique.

Rien n’aurait pu être plus éloigné de la réalité. Ce qui manquait clairement, c’était les comptes-rendus des atrocités commises par l’Armée du Mahdi – le ramassis de truands autour de Moqtada Al Sadr. Pendant que les médias étaient tout occupés à blâmer la coalition, les sbires de Moqtada kidnappaient des policiers, des membres du conseil de ville et quiconque accusé de soutenir la coalition ou le nouveau Gouvernement, avant de les juger devant un tribunal d’exception basé sur la charia, puis de les torturer et de les exécuter pour leurs « crimes ». Les médias n’ont pas montré ou décrit les quelques 200 corps décapités retrouvés dans la mosquée principale, ou le corps qui a été placé dans un four à pain et rôti. Ils n’ont pas non plus montré au monde les centaines de milliers de coups de mortier, d’artillerie et d’armes légères qui ont été retrouvés à l’intérieur des murs « sacrés » de la mosquée. De même, la couverture a également omis l’énorme cache d’armes récupérées dans le quartier-général « politique » tout proche de Moqtada. Non, rien de tout ceci n’a paru à l’écran ou sur papier. Tout ce qui a été montré se résume à quelques tuiles cassées sur le dôme de la mosquée, avec une discussion sur ce que la coalition a, quelque part, raté. Encore une autre victoire pour la machine propagandiste de l’ennemi.

Maintenant, comparez l’exemple de Najaf à la couverture et au débat ad nauseam consacré à l’affaire de la prison d’Abu Ghraib. Il n’y a certainement aucune justification pour ce qu’une dizaine de soldats ont fait à cet endroit, mais une couverture déséquilibrée a amené le monde à croire que les actions de cette dizaine étaient représentatives de toutes les Forces armées. Cela a eu un effet incroyablement négatif sur l’opinion déjà en baisse au Moyen-Orient sur les Etats-Unis et ses troupes. Est-ce que quiconque a montré au monde les images des 200 personnes qui ont été décapitées et mutilées par le tribunal islamique de Moqtada, ou parlé pendant les 6 mois suivants de l’horreur que tout cela représente ? Non, bien sûr que non. La plupart des gens ignorent que ces atrocités se sont produites. Ce n’est pas étonnant que beaucoup de gens par ici souhaitent notre départ et voteraient pour quelqu’un comme Moqtada Al Sadr s’ils en avaient l’occasion – ils ne voient jamais la vérité complète. Etrangement, lorsque l’ennemi est l’instigateur, les médias ne diffusent aucune image sur les écrans du Moyen-Orient, au contraire de ce qu’ils ont fait pour Abu Ghraib. Est-ce parce que des corps décapités pourraient offenser quelqu’un ? Si tel est le cas, pourquoi continuons-nous à voir des images de la pyramide humaine ?



La manipulation quotidienne des médias

Dans ces conditions, pourquoi est-ce que les militaires ne s’impliquent pas davantage pour montrer l’aucun facette de l’histoire aux médias ? La réponse, c’est qu’ils le font. Bien que certains soient meilleurs que d’autres, l’armée et d’autres organisations militaires comprennent aujourd’hui l’importance de raconter leur histoire – toute l’histoire – et entraîner leurs leaders à parler avec les médias. Il existe un dicton au sujet des médias et des militaires : « La seule manière pour ce que les médias racontent une bonne histoire consiste à leur en donner une. » Mais cela ne fonctionne pas toujours comme prévu. Récemment, lorsqu’un porte-parole de la coalition a essayé de laisser approcher les chaînes TV durant la préparation de l’opération à Falloujah, ils ont faussement interprété les événements puis accusé les militaires pour leur propre ingénuité. CNN a diffusé un « reportage spécial » dans lequel la chaîne accusait les militaires de lui mentir, à elle et à d’autres, quant au début de l’opération. L’incident en question s’est déroulé en octobre, lors qu’un officier des affaires publiques des Marines a appelé des représentants des médias et leur a dit qu’une opération était sur le point de commencer. Les reporters se sont rués aux abords de Falloujah pour voir ce qu’ils supposaient être le début de l’attaque principale de la ville. En fait, ce qu’ils ont vu n’étaient que des « feintes » tactiques destinées à embrouiller l’ennemi au sujet de l’horaire de l’attaque, alors prévue pour débuter des semaines plus tard.

Dès que la chaîne a réalisé que des opérations de combat majeures ne commenceraient pas avant plusieurs semaines, elle a prétendu que les Marines l’avaient utilisé comme vecteur pour leur opération de déception. A présent, ils affirment vouloir des réponses de la part des militaires et de l’administration à ce sujet. Dans la réalité, CNN et les autres ont fait preuve d’un tel zèle pour devancer la concurrence qu’ils ont pris l’information reçue et l’ont transformée en celle qu’ils attendaient. Est-ce que les militaires ont menti aux médias ? Non : il est spécifiquement contraire aux règlements de fournir de la désinformation à la presse. Cependant, est-ce que les planificateurs militaires ont anticipé la réaction des reporters, qui s’emballeraient immédiatement, en contribuant à renforcer le plan de déception général ? Peut-être. Est-ce que c’est inédit ou illégal ? Bien sûr que non.

CNN et les autres disent avoir été dupés par les Forces armées dans ce cas et à d’autres occasions. Mais ils ne semblent jamais être troublés par le fait indéniable que l’ennemi les manipule avec un talent presque digne d’envie. Vous pouvez être sûr que le chef terroriste Abou Moussab Al Zarqaoui a sa propre version d’officier communication et il est évident qu’il l’utilise avec une grande efficacité. Chaque fois que le groupe de Zarqaoui exécute un acte terroriste comme une décapitation ou un attentat à la voiture piégée, ils ont une déclaration prête à être diffusée sur leur site web et distribuée à la presse. Les reporters avides mordent à l’appât, au crochet, à la ligne et à la canne, et en rendent compte exactement comme ils l’ont reçu.

Est-ce que les médias n’ont jamais pensé que ce type de notoriété est précisément ce dont les terroristes ont besoin ? Chaque titre qu’ils accrochent est pour eux une victoire. Ceux qui ont lu le penseur militaire antique Sun Zu se rappellent la théorie « tuer un homme pour en effrayer dix mille » comme la base de la stratégie terroriste. C’est par la peur que le terroriste peut manipuler le comportement des masses. Les médias lui permettent d’utiliser des événements relativement petits mais spectaculaires qui affectent directement peu de monde, et de les répandre dans le monde pour effrayer des millions de gens. Qu’en est-il des milliers de choses qui vont bien chaque jour et dont on ne parle jamais ? Terminez un projet de rénovation d’égouts qui coûte plusieurs millions de dollars et personne ne veut le couvrir, mais laissez une voiture exploser et elle fait aussitôt les grands titres. A chacun d’entre eux, l’ennemi marque un point et les bons types en perdent un. Cette méthode réduit progressivement le soutien domestique et international, tout en encourageant la cause de l’ennemi.

Je pense que l’une des raisons derrière cette couverture superficielle et subjective réside dans le fait que de nombreux reporters n’assistent jamais aux événements dont ils parlent. C’est une inquiétude croissante au sein de la coalition. Il apparaît que de nombreux journalistes hésitent à s’aventurer au-delà de la sécurité relative fournie par la zone dite internationale au cœur de Bagdad, ou hors de « sanctuaires » similaires dans d’autres grandes villes. Comme les terroristes et d’autres criminels cherchent à attaquer ou à kidnapper les journalistes occidentaux, tous les Occidentaux restent près de leurs quartiers. Ce qui a pour effet de retenir les médias captifs en ville, et de les éloigner de la vérité plus large qui existe hors de leur vue. Avec une presse ainsi cernée, les terroristes peuvent ainsi nourrir leurs captifs inconscients d’un maigre brouet d’anarchie, à raison d’une cuillère par jour. Une voiture piégée au point d’entrée de la zone internationale un jour, quelques obus de mortiers le suivant, avec peut-être un ou deux kidnappings en plus. Le tout livré aux pieds de ceux qui l’acceptent joyeusement, sans devoir quitter leur chambre d’hôtel. Comme c’est pratique !

La scène se répète bien trop souvent : une attaque se déroule à Bagdad et les bruits du matin sont ponctués par une large explosion, suivie d’un nuage de fumée. Des sirènes gémissent au loin et des photographes se ruent sur la scène, à quelques kilomètres de là. Dans l’heure qui suit, des reporters au visage sévère fixent avec assurance la caméra en se tenant sur le balcon de leur chambre d’hôtel sise au dixième étage, le dos tourné à la ville, avec un panache de fumée distant derrière eux. Encore le chaos à Gotham City, disent-ils juste à temps pour le journal du matin. Il y a une raison transparente pour laquelle la majorité des voitures piégées et d’autres événements majeurs ont lieu avant midi, heure de Bagdad : un événement plus tardif manquerait le début des cycles d’information matinaux sur la côte est des Etats-Unis. Ces terroristes ne sont pas stupides ; ils savent quand et comment frapper les masses. La manipulation des médias constitue un élément important de leur plan. Mais les reporters en Irak rassemblent au moins des informations pour livrer leurs histoires, que celles-ci soient mises en perspective ou non. Les « têtes parlantes » qui siègent en studio ou dans des bureaux à domicile pour pontifier sur la détérioration d’un pays dans lequel ils ne sont jamais allés sont bien pires.

Chaque jour ou presque, les quotidiens, les périodiques et les émissions audio-visuelles nous donnent des aperçus négatifs sur les prémices de cette guerre et son évolution. Il semble que n’importe qui, depuis les politiciens jusqu’aux pop stars, exprime son opinion sur la situation – sans qu’elle soit fondée. Récemment, j’ai vu un exemplaire du magazine Rolling Stone dont la couverture portait comme gros titre « L’Irak en feu : reflets d’une guerre perdue. » Est-ce que quelqu’un peut me dire qui à Rolling Stone ou dans n’importe quel autre média est compétent pour déterminer à quel instant tout est perdu et quand il faut jeter l’éponge ? En réalité, des reportages tellement défectueux servent uniquement tromper l’opinion mondiale et renforcer la position de l’ennemi. Chacun de ses succès projeté à la une et à l’écran non seulement l’encourage, mais accroît son aptitude à lever des fonds et recruter des membres.

Quelles sont donc les références de ces « experts » autoproclamés ? La plupart des personnes auxquelles on se fie pour obtenir des comptes-rendus factuels et complets n’ont peu ou pas d’expérience ou d’instruction dans les opérations de contre-insurrection ou de construction de nation pour fonder leurs jugements. Comment peuvent-ils vraiment savoir si les choses vont bien ou pas ? La guerre est une chose horrible qui comporte maints revers et tournants inattendus. Qui parmi eux est qualifié pour dire que celui-là est pire qu’un autre ? Qu’auraient-ils dit au début de 1942 sur nos chances de gagner la Seconde guerre mondiale ? Est-ce que c’était également une cause perdue ? Combien de temps ces « experts » ont passé à étudier la guerre en général, et la contre-insurrection en particulier ? Est-ce qu’ils ont déjà lu le traité de Roger Trinquier, La guerre moderne : une vision française de la contre-insurrection ? C’est l’un des rares militaires français à avoir compris de quoi il s’agissait. L’insurrection algérienne dans les années 50 et l’insurrection irakienne ont de nombreuses similitudes. Et les campagnes de Napoléon de Sardaigne de 1805 à 1807 ? Là aussi, il y a beaucoup de similitudes. Est-ce qu’ils ont étudié le contraste des stratégies mises en œuvre ? Ou ont-ils lu les théories de Mao Tse Tung sur l’insurrection, ou celles de Giap, ou peut-être celles de Che Guevara ? Ont-ils récemment aperçu une partie des œuvres de Sun Tsu ? Qui sont ces gens ? Il est temps de commencer à apprendre, les gars. Si un journaliste ne reconnaît par les noms mentionnés ici, il ou elle n’est probablement pas compétent pour évaluer la situation de cette campagne ou de n’importe quelle autre.

Mais il y a encore pire : pourquoi diable demandent-ils l’opinion de quelqu’un qui en sait encore moins qu’eux sur la situation en Irak ? Pour vendre la publicité, je suppose. Mais je trouve incroyable que certaines personnes préfèrent écouter l’avis d’un acteur vedette ou d’un chanteur rock sur la manière de conduire les affaires mondiales que les gens dont la profession consiste à connaître ces choses. Je joue de la guitare, mais Bruce Springsteen ne m’écoute pas jouer. Pourquoi devrais-je donc subir ses vues sur la validité de la guerre ? Sa profession est celle d’un joueur de guitare. Que l’on me rappelle ce qui permet à Sean Penn d’être un expert universel. Il semble que n’importe qui exprimant une opinion négative passe en premier devant la caméra. Je suis totalement acquis à la liberté d’expression, mais parlons de ce que nous connaissons. Sinon, les journaux télévisés auront bientôt autant de crédibilité que « Le Bachelor » en a pour montrer des couples amoureux.

Tout aussi ennuyeuses sont les références des « experts » sur la « longueur » de cette guerre. J’ai lu que dans le monde de l’industrie, vous pouvez seulement obtenir deux des trois qualités suivantes lorsque vous développez un produit – bon marché, rapide et bon. Vous pouvez obtenir rapidement un produit bon marché, mais il ne sera pas bon ; rapidement un bon produit qui ne sera pas bon marché ; ou un bon produit bon marché, mais pas rapidement. Dans le cas de l’Irak, nous voulons un bon résultat avec le coût le plus bas possible en vies humaines. Etant donné ces conditions, on peut s’attendre à ce que cette guerre prenne du temps, et avec raison. Créer une démocratie en Irak exige non seulement un changement du système politique, mais également de l’économie. L’étude d’exemples de changements socio-économiques similaires qui se sont produits dans des pays comme le Chili, la Bulgarie, la Serbie, la Russie ou d’autres pays ayant subi des dictatures montrent qu’il a fallu entre 7 et 10 ans pour amener ces pays dans leur état actuel. Il y a beaucoup de leçons à apprendre de ces transformations, et la plus importante d’entre elles est que le changement n’est pas aisé, même sans une insurrection en cours. Peut-être les experts devraient-ils regarder tout le travail produit pour stabiliser la Bosnie-Herzégovine ces 10 dernières années. Nous avons juste passé la barre des 18 mois en Irak, un endroit qui a connu bien plus d’oppression que la Bosnie. Si les exemples passés valent une comparaison, il n’y aura pas de solution rapide ici, mais cela ne devrait pas surprendre un analyste qui a fait son travail.

Cette guerre n’est pas dépourvue de tragédies, comme toute autre. La clef du succès, pour l’ennemi, est l’usage de ses ressources limitées pour obtenir la plus grande influence possible sur les masses. Les médias servent de loupe à travers laquelle un événement relativement petit peut être magnifié pour prendre des proportions internationales, et l’ennemi exploite cela avec une facilité incroyable. Il n’y a aucune bonne nouvelle pour compenser la mauvaise, de sorte qu’il obtient une victoire presque chaque jour. Dans leur hâte de saisir les points chauds et de rapporter le dernier attentat, les médias manquent la réalité d’un plus grand bien qui se déroule en Irak. Nous-mêmes, nous ne faisons que rarement quelque chose de juste ou de bien dans les infos. Les gens croient ce qu’ils voient, et ce que les gens du monde voient presque chaque jour est négatif. Comment pourraient-ils le voir d’une autre manière ? Ces images et ces histoires, hors de proportion et du contexte, sont exactement ce que les terroristes recherchent. La focalisation sur les succès de l’ennemi renforce sa résolution tout en aidant et en encourageant sa cause. Et c’est en définitive l’image de l’Amérique à l’étranger qui en souffre.

La liberté de la presse que nous avons apportée à cette partie du monde, de manière ironique, fournit un appui à l’ennemi que nous combattons. Je pense bien entendu que c’est une honte lorsque tant de gens qui informent le monde donnent une image si incomplète de ce qu’il se passe. Bien trop de choses sont ignorées ou omises. Je suis persuadé que l’histoire prouvera la justesse de notre cause dans cette guerre, mais quand cela se produira, le monde pourrait être trop enfoncé dans les ténèbres de l’ignorance pour que nous puissions reconnaître la victoire acquise.



Texte original: LTC Tim Ryan, "Aiding and Abetting the Enemy: the Media in Iraq", CO, 2/12 Cav, 1st Cav Div  
Traduction et réécriture: Lt col EMG Ludovic Monnerat
  









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