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Christophe Vincelet, La mort des dix casques bleus belges à Kigali, L’Harmattan, 2004

29 février 2004

D

ans la masse des travaux sortis d’abord dans la foulée du génocide rwandais et ensuite dans celle des dix ans de sa commémoration, l’ouvrage de Christophe Vincelet apparaît de prime abord bien mince en taille. Les 250 pages de cet ouvrage compact et vivant, fort documenté et comportant plusieurs interviews – c’est appréciable autant pour l’éclairage qu’en tant que matériel de recherche de première main – se lisent rapidement, et posent autant de questions qu’elles éclairent le lecteur.

Pourtant, on pensait avoir tout écrit – particulièrement en Belgique – du génocide rwandais, de son contexte, de sa cinématique et, au passage, de la mort des dix paras. Or, et c’est là la première originalité, l’ouvrage n’a pas été écris par un Belge, mais bien par un jeune chercheur français, titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine et élève à Paris-II Assas. Et si l’on aurait pu entendre certains indiquer qu’un Français travaillant à ces questions aurait été gage de légitimité donné à une Opération Turquoise qui reste controversée pour certaines de ses finalités, l’auteur, deuxième originalité, se focalise plus particulièrement sur la perte des dix paras belges.

Il le fait avec l’œil, extérieur à l’émotion sur le sujet toujours palpable en Belgique, qui est le sien, tout en adoptant une démarche fondamentalement objective dont on peut gager qu’elle reste le premier allié de toute recherche menée sur un conflit. D’emblée, l’auteur cerne son objet : observer comment un événement tel que la mort des paras a pris une telle ampleur dans un microscosme sociétal belge dont la complexité n’est pas la moindre de ses caractéristiques. Tâche complexe donc, pour une analyse se déclinant en trois chapitres.

Le premier plante le décor, sobrement, en analysant la mécanique chronologique des événements ; ensuite en examinant plus particulièrement les forces et les faiblesses de la Mission des Nations Unies pour le Rwanda (MINUAR) à laquelle étaient intégrées les forces belges qui en représentaient la composante la mieux armée et la plus aguerrie, et enfin en examinant les rapports existants entre la Belgique et le Rwanda. On le comprendra aisément, le chapitre est dense.

En particulier, l’auteur cerne bien l’inadaptation de la MINUAR aux événements et restitue plusieurs éléments afférents aux règles d’engagement. On peut cependant regretter que ce point n’ait pas mérité quelques pages supplémentaires, l’auteur nous restituant parfaitement le climat dans lequel se trouvait plongé le commandement sur place. De même, l’attention que l’auteur porte au « climat anti-belge » régnant à Kigali lui permet de recadrer cette opposition non contre les Belges, mais bien contre la MINUAR, dans un contexte où implémenter les accords d’Arusha restait pratiquement à faire.

Dans un deuxième temps, l’auteur examine plus particulièrement la construction de la thématique « des dix paras » au sein la société belge, examinant successivement le rôle de la presse, les réactions politiques et le processus de reconstitution des événements. Le travail de traçage des réactions de la presse et une certaine focalisation – elle ne fut toutefois pas systématique – sur la mort des dix paras plus que sur le génocide en tant que tel prête à quelques réflexions sur la capacité des médias à influencer les prises de décision politiques. L’auteur laisse toutefois le soin au lecteur de vaquer à de toujours périlleuses considérations. Aussi, il en vient naturellement à examiner les différentiels de positionnement politiques au sein du gouvernement belge de l’époque, sans, toutefois, relater la position des partis francophones de l’époque. C’est dommage dans la mesure où, justement, l’auteur met en évidence le différentiel de perception existant entre le Nord et le Sud de la Belgique et qu’une analyse comparative eut été éclairante. L’analyse reste toutefois aussi fine lorsqu’il aborde le processus post-crise d’appréhension des événements, qu’il s’agisse de l’armée ou de la Commission parlementaire d’enquête mise en place pour étudier la question.

Au passage, il restitue bien la complexité non seulement des jeux politiques qui ont aboutit à sa mise en place, mais aussi à son fonctionnement. On pourrait cependant regretter qu’avec ses qualités, l’auteur n’ait pas été plus loin dans l’analyse qu’il fait de l’appréhension des événements au sein même d’une armée belge qui reste marquée par la mort de ses paras et qui n’a pas vraiment procédé à un processus systématique visant à tirer les leçons du Rwanda. Pratiquement cependant, les pistes que Christophe Vincelet offre sur le sujet compensent très largement le manque de sources sur une question qui reste ouverte.

Le troisième chapitre, consacré au « belgocentrisme » de la question rwandaise est d’une nature plus réflexive que les deux précédents. En particulier, le recadrage de la question de la mort des dix paras dans le contexte politique et social de l’époque est intéressant en ce qu’il montre l’impact qu’une question internationale peut avoir sur le processus d’évolution sociopolitique d’un pays. Toutefois, l’auteur semble attribuer à la mort des dix hommes une valeur peut être trop importante dans la dynamique qui conduira aux élections de 1999 et au renouvellement de la politique belge. Par contre, il semble plus proche de la réalité lorsqu’il examine la question rwandaise sous l’angle d’un catalyseur permettant une mutation de la diplomatie belge. Laquelle, au demeurant, se réengagera peu à peu en Afrique, l’ombre de la mort des dix hommes planant lorsque des forces belges iront encadrer la formation d’une brigade de la nouvelle armée congolaise.

Une bonne moitié de l’ouvrage est constituée d’interviews bien menées de Colette Braeckman, Mark Eyskens, Alain Destexhe, le colonel Luc Marchal et Peter Verlinden. De fort utiles annexes – notamment des extraits du journal de marche du bataillon belge à Kigali, l’arrêt de la cour militaire innocentant le colonel Marchal ou la lettre du ministre belge des Affaires étrangères au Secrétaire général de l’ONU signifiant le retrait des forces belges y sont adjointes. On y regrette toutefois de ne pas y voir apparaître un responsable de l’état-major ayant préparé la projection de la MINUAR ou un autre . En effet, la question du format des forces belges affectées à la mission et des munitions qui leurs seraient affectées reste importante dans la compréhension de l’échec de la MINUAR. De même, une étude de la façon dont les renseignements donnés ont été traités dans le courant même de la crise à Bruxelles, mais aussi au siège de l’ONU à New-York, eut été fort utile pour comprendre l’inadaptation de la mission à un environnement changeant.

Au final est d’une grande utilité, à la fois pour celui ou celle qui entend approcher la question du Rwanda que pour celui ou celle qui entend l’approfondir. Le recul que Christophe Vincelet prend pour nous offrir son analyse autant que sa focalisation sur l’interrelation entre la société belge et les événements rwandais font de son ouvrage une contribution originale méritant d’être saluée. Mais qui est aussi porteur de leçons à un moment où opinions publiques et pouvoirs politiques font face à des contingences stratégiques aux antipodes des guerres symétriques. Peut-être là quelques idées pour un nouvel ouvrage ?



Joseph Henrotin  
Doctorant en Sciences politiques à l'ULB  
Attaché de recherches, ISC  
Membres du Réseau Multidisciplinaire en Etudes Stratégiques (
RMES)  








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