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Le cauchemar des bunkers nucléaires pose la question de la première frappe

7 décembre 2002


B61-11 larguée par un B-2L

a prolifération de bunkers ennemis profondément enfouis pourrait amener de nouvelles armes mininucléaires, et même un changement dans la politique américaine de première frappe. Mais les barrières techniques et éthiques sont gigantesques.

Lorsque la guerre du Kosovo s'est achevée, en 1999, une dizaine de chasseurs serbes MiG-21 ont émergé intacts d'un bunker situé sous l'aéroport de Pristina. Les Etats-Unis avaient pourtant essayé plusieurs fois de détruire cette suite de tunnels et de caves avec leurs GBU-28, des bombes guidées anti-bunkers de 2265 kg développées durant la guerre du Golfe. Mais ces armes parvinrent au mieux à obstruer les entrées en s'enfonçant de quelques mètres avant d'exploser. Abrités bien plus bas, les MiG ne furent pas atteints.


«... le Pentagone s'est mis à penser l'impensable : développer des armes nucléaires spécialement conçues pour attaquer des caves et des tunnels. »


Trois ans plus tard, face aux combattants d'Al-Qaïda retranchés dans les catacombes afghanes de Tora Bora, les militaires américains avaient fait des progrès importants. L'arsenal du Pentagone comprenait alors la BLU-118/B, une bombe puissante et pénétrante dont l'explosif thermobarique envoie des ondes de choc prolongées, au lieu d'un pic unique comme les armes traditionnelles.

La BLU-118 est idéale pour attaquer des espaces souterrains confinés comme les tunnels ou les caves, mais à l'instar de la GBU-28, elle est virtuellement indolore pour les protections solides. Si la BLU-118 se heurte à de la pierre, de la terre hautement comprimée ou une fortification, sa capacité de pénétration se limite à environ 2 mètres, et la pierre absorbe les coups thermobariques avant qu'ils n'atteignent la redoute enterrée. En Afghanistan, de nombreux guerriers d'Al-Qaïda sont sortis indemnes de l'attaque sur Tora Bora, et ont profité des pauses de bombardement pour s'esquiver avec leurs armes.


Prolifération des bunkers

L'inaptitude partielle du Pentagone à détruire des abris souterrains, même avec les anti-bunkers les plus puissants, a donné des frissons aux militaires. Selon certains renseignements, on compte en effet plus de 10'000 structures enterrées dans des dizaines de pays autour du monde. Nombre d'entre elles, que ce soit en Chine, en Iran, en Corée du Nord ou en Russie, abritent des avions ou des armes conventionnelles. Mais environ un millier de ces caves, tunnels et labyrinthes sont considérés comme hautement stratégiques, parce qu'ils sont suspectés de protéger des armes de destruction massive, des missiles à longue portée ou des centres de commandement destinés à des leaders-clefs.

Le Département de la Défense est par exemple certain que l'Irak dissimule des armes chimiques et biologiques sous ses vastes déserts, et que la Corée du Nord a enterré des matériaux nucléaires sous ses montagnes. Pire encore, en raison des améliorations considérables dans les capacités de forage, des milliers de bunkers profonds et inatteignables devraient être construits dans la prochaine décennie.

Bunkers en Irak

Confronté à la perspective d'une guerre asymétrique contre des Etats voyous ou des organisations terroristes possédant des armes de destruction massive dans leurs sous-sols, le Pentagone s'est mis à penser l'impensable : développer des armes nucléaires spécialement conçues pour attaquer des caves et des tunnels. Dans l'idéal, ces armes produiraient des dommages considérables en limitant les retombées radioactives à la surface. Mais une telle décision représenterait la plus grande modification de la stratégie nucléaire américaine depuis des décennies, parce que son objectif avoué ébranlerait les deux pierres angulaires de la politique actuelle : n'engager des armes nucléaires qu'en dernier ressort et ne jamais le faire face à des nations non nucléaires.



«... Le Département de la Défense est par exemple certain que l'Irak dissimule des armes chimiques et biologiques sous ses vastes déserts. »


Bien que la conception d'une nouvelle génération d'armes nucléaires n'en soit qu'à ses toutes premières étapes, ses opposants ont été rapides à exprimer leur consternation. Leur principale inquiétude est due au fait que certains fonctionnaires du Pentagone décrivent les anti-bunkers nucléaires comme étant moins dangereux que l'arsenal atomique traditionnel, à tort selon eux, et que leur développement pourrait relâcher le tabou nucléaire.

Le résultat, affirment les opposants, pourrait être une nouvelle course aux armements remettant le monde sur la voie d'un Armageddon radioactif. "Des armes nucléaires pénétrantes abaisseraient le seuil de l'usage de l'arme atomique", affirme David Wright, chercheur au programme d'études de sécurité du MIT. "Si vous désirez vraiment dissuader des pays de développer des armes nucléaires, ce n'est pas une très bonne idée."

Selon des planificateurs militaires, le besoin de ces armes est toutefois si aigu qu'il contrebalance toute inquiétude quant aux répercussions tactiques – qu'ils affirment être de toute manière surestimées par les critiques. Alors que le nombre, la profondeur, la complexité et les dangers des bunkers souterrains s'accroissent, argumentent-ils, ces nouvelles bombes nucléaires deviennent indispensables. "Sans capacité de menacer ces objectifs, nous fournissons en fait des sanctuaires", explique J. D. Crouch, assistant du Secrétaire à la Défense.


Evaluation de deux options

Deux options sont évaluées au sujet du nouvel arsenal atomique. Les deux partent de l'idée qu'une arme nucléaire frappant le sol libérerait de puissantes ondes de choc qui, comme un tremblement de terre, déchireraient même la roche la plus solide et se fraieraient un chemin vers des ennemis profondément protégés. L'une des possibilités consiste à améliorer une bombe atomique existante, comme la B61-11, la seule arme anti-bunker nucléaire du Pentagone. Mise au point discrètement au milieu des années 90, la B61-11 n'a jamais été considérée comme une arme valable, car elle s'est révélée peu efficace lors d'essais de pénétration.

Bunkers en Irak durant la Guerre du Golfe

En fait, l'administration Clinton ne lui a voué que peu d'intérêt, et au contraire a soutenu les accords internationaux interdisant le développement, l'essai et le déploiement d'armes nucléaires. Mais la Maison Blanche de l'ère Bush Jr a adopté une position virtuellement inverse : son budget pour 2003 demande 45 millions de dollars pour une étude de 3 ans explorant les défis techniques liés à la transformation d'une arme nucléaire et une arme anti-bunker efficace. Alors que ces lignes sont écrites, la Chambre des Représentants a approuvé le crédit mais le Sénat l'a rejeté. Le sujet doit encore être tranché.

L'autre approche possible est plus radicale : concevoir une arme entièrement nouvelle appelée "mininucléaire", une bombe de 5 kilotonnes ou moins qui s'enfoncerait comme une lance dans le sol. A certains égards, une arme mininucléaire serait plus intéressante qu'une arme nucléaire modifiée, selon ses partisans, car ils pensent que sa charge inférieure ne relâcherait qu'une quantité minimale de radioactivité à la surface.


«... une arme nucléaire frappant le sol libérerait de puissantes ondes de choc qui déchireraient même la roche et se fraieraient un chemin vers des ennemis profondément protégés. »


Même si l'idée était dans l'air depuis plusieurs décennies, c'est le récent Nuclear Posture Review – la première analyse des capacités nucléaires US effectuée par le Pentagone en 10 ans – qui donné un coup de pouce à l'arme mininucléaire. Le Département de la Défense écrit ainsi que "avec un pénétrateur terrestre plus efficace, de nombreux objectifs enterrés pourraient être attaqués avec une arme dotée d'une charge nettement moindre". Le soutien du NPR pourrait être un pas important vers l'appui du Congrès pour le financement de la conception et du développement de l'arme mininucléaire.

Parallèlement, si l'étude de faisabilité portant sur la modification d'une arme existante reçoit l'appui parlementaire, elle sera menée par l'Administration Nationale de Sécurité Nucléaire (National Nuclear Security Administration, NNSS), une agence du Département de l'Energie, dans l'un des trois principaux laboratoires de recherche nucléaire – Sandia, Los Alamos et Lawrence Livermore. L'essentiel de la recherche initiale porterait sur la possibilité de convertir la B61-11, qui pèse seulement 544 kg et en essais n'a pénétré que 6 mètres de pierre et de sol, en une bombe gravitationnelle de 2265 kg capable de percer jusqu'à 24 mètres de terrain plat ou montagneux.

Le projectile devrait accomplir cet exploit sans détruire la fragile électronique et les composants retardant l'explosion nucléaire de plus de 300 kilotonnes. Il s'agit là d'une exigence critique, car plus l'explosion se produit loin de la surface, mieux l'énorme impact et les ondes de choc se propagent dans le sol. Une arme nucléaire mise à feu après avoir pénétré 24 mètres, grosso modo, a la même puissance destructrice contre un bunker profondément enterré qu'une charge 10 fois plus forte explosant en surface.


Simulations nucléaires

L'un des défis majeurs consistera à renforcer l'enveloppe de l'arme et ses structures internes pour protéger l'ogive, souligne Paul Yarrington, un scientifique du laboratoire nucléaire de Sandia, parce que la tête ne fonctionnera pas si ses explosifs ne sont pas mis à feu avec une précision parfaite.

Pour compenser l'impact latéral et frontal accru lorsque l'arme s'enfonce plus profondément, les ingénieurs envisagent de développer à partir de métaux spécialement durcis une nouvelle enveloppe et un nez renforcé – la partie de la bombe qui absorbe le plus le choc et la chaleur. Et ils évaluent l'intégration à l'enveloppe de structures composites en nid d'abeille, un design déjà utilisé sur certaines bombes et qui offre une plus grande résistance au kilo que les formes métalliques courbes traditionnelles.

Test nucléaire Sedan

Afin d'effectuer une modification aussi complète et cruciale, les ingénieurs devront modéliser, simuler, comprendre et tester les forces affectant la bombe lorsqu'elle pénètre avant la détonation. Les programmes de simulation pour superordinateurs développés ces 30 dernières années seront d'une importance particulière, grâce à leurs modèles tridimensionnels du fonctionnement des armes existantes. Ces simulations utilisent les données de plus de 1000 essais nucléaires réalisés par les Etats-Unis avant leur moratoire unilatéral de 1992, et qui comprennent des mesures exactes du déroulement d'une explosion atomique prises par des appareils à rayons X, et des enregistrements d'autres senseurs comme des capteurs sismiques. En combinant ces informations avec les conditions attendues durant une attaque nucléaire anti-bunker, les ingénieurs peuvent modéliser les effets des accélérations sur des armes pénétrantes.


«... créer une arme pénétrante à petite charge pourrait exiger de longues recherches sur le terrain, comprenant de vrais essais nucléaires. »


Pour compléter les travaux conceptuels dans le monde virtuel, des tests physiques peuvent être accomplis sur divers métaux et alliages susceptibles d'être utilisés pour l'enveloppe et les composants. Par exemple, des projectiles tirés d'un canon sur des cibles en pierre et en acier reproduiraient le choc qu'une ogive absorbe lors de l'impact. Les données accumulées dans ces tests peuvent ensuite être réintroduites dans un superordinateur pour affiner le modèle. Et lorsqu'un prototype d'une nouvelle enveloppe est achevé, des ogives factices avec une charge inerte peuvent être larguées d'un avion sur une fausse cible.

Aucune de ces expériences, bien entendu, n'impliquera de véritable explosion nucléaire. L'administration Bush n'a pas l'intention de contourner l'interdiction de tels essais – ce qui rend le développement d'une arme mininucléaire, l'autre option pour la destruction de bunkers, bien plus problématique. Recomposer une arme existante peut être accompli avec des simulations conceptuelles par superordinateur, parce que les données existantes peuvent être utilisées comme base. Mais créer une arme pénétrante à petite charge, un concept nouveau n'ayant jamais été essayé, pourrait exiger de longues recherches sur le terrain, comprenant de vrais essais nucléaires. En plus du moratoire, le développement d'une telle arme est également bloqué par le Defense Authorization Act de 1994, qui interdit la recherche menant à la production d'une arme nucléaire de moins de 5 kilotonnes.


Une arme plus acceptable

En dépit de ces obstacles, le concept de l'arme mininucléaire gagne néanmoins les faveurs du Pentagone. Les planificateurs militaires doutent qu'un président puisse risquer le contrecoup politique pouvant résulter de l'engagement d'une grande arme nucléaire rétrofittée comme la B61-11 ; mais ils estiment qu'une charge inférieure à 5 kilotonnes – environ un quart de la bombe larguée sur Nagasaki et moins d'un centième de la plupart des armes nucléaires américaines – sera plus acceptable. Et ceci parce qu'une bombe atomique de 5 kilotonnes ne produirait qu'une quantité limitée de retombées létales pour les civils des environs.

Cratère résultant du test Sedan

Selon le Nuclear Posture Review, cette arme pourrait déclencher les mêmes destructions souterraines qu'une bombe modernisée de taille supérieure, tout en produisant entre un vingtième et un centième de la contamination radioactive en surface. Et comme elle serait plus "utilisable", selon l'argument des militaires, une arme mininucléaire serait une "menace crédible" qui pourrait empêcher des Etats voyous ou des terroristes de développer des redoutes enterrées et des armes de destruction massive, par la crainte d'une frappe nucléaire américaine.

"En fait, n'avoir que des armes de forte charge auto-dissuade les Etats-Unis", déclare Stephen Younger, directeur de la Defense Threat Reduction Agency, qui développe des technologies et des stratégies pour contrecarrer les armes de destruction massive, et ancien directeur du laboratoire nucléaire de Los Alamos. "Un adversaire penserait que nous n'utiliserions pas une seule de ces armes en raison de leur puissance destructrice démesurée, alors qu'une arme nucléaire plus petite aurait une valeur dissuasive accrue en vertu de leur acceptabilité politique."


«... il est impossible de détruire un objectif enterré à plus de 60 m avec une bombe de 1 kt, mais une charge supérieure produirait une explosion trop puissante pour être contenue. »


Afin d'esquiver l'interdiction des essais nucléaires, une idée lancée pour la charge mininucléaire consiste à utiliser le cœur primaire d'une engin thermonucléaire à deux étages. Cette partie de l'arme crée une explosion à fission de 5 à 10 kilotonnes ou moins, ce qui en fait une option parfaite comme arme mininucléaire. De plus, les défenseurs du projet croient qu'en recyclant des cœurs primaires, ils pourraient contourner la loi de 1994 interdisant la recherche et le développement mininucléaires, car ils pourraient affirmer ne pas construire une arme à partir de rien. "Je ne l'appellerais pas une nouvelle arme", relève John Gordon, ancien administrateur de la NNSA. "Mais d'autres pourraient le faire."

Parmi ceux-ci figure le sénateur Jack Reed, démocrate de Rhode Island et président de la sous-commission stratégique des Forces armées au Sénat, qui a conduit l'opposition parlementaire au financement de l'étude de faisabilité de la NNSA. Reed considère qu'au lieu de construire des armes mininucléaires ou d'autres pénétrateurs atomiques, les Etats-Unis devraient encourager la non-prolifération par l'exemple : "Nous n'avons aucunement besoin d'une nouvelle arme nucléaire, et la décision prise par l'administration Bush d'évaluer sa création nous précipite sur une voie très dangereuse". Le projet de loi afférent à la Chambre des Représentants non seulement soutient l'étude, mais abroge aussi l'interdiction de la recherche mininucléaire.

Au-delà de la manière dont est réglé le désaccord politique, les critiques de ces armes contestent l'idée du Pentagone selon laquelle il est techniquement possible de créer une bombe atomique suffisamment grande pour détruire un bunker profondément enfoui, mais qui ne projette pas de radiations dans l'atmosphère. "Le danger de cette idée, c'est que vous pouvez le faire avec une bombe propre – ce qui est faux", souligne Sidney Drell, physicien au Centre d'accélération linéaire de Stanford et conseiller de longue date pour le gouvernement américain au sujet des questions nucléaires.

Drell affirme qu'il serait impossible de détruire un objectif enterré à plus de 60 mètres avec une bombe d'une kilotonne, mais qu'une charge supérieure produirait une explosion trop puissante pour être contenue dans le sol. Il cite pour ce faire les données d'un essai nucléaire nommé Sedan, effectué en 1962 dans le Nevada, et qui comportait une explosion de 104 kilotonnes à 194 mètres sous la surface. Malgré la profondeur de l'arme, 12 millions de tonnes de terre et de débris radioactifs furent projetés dans l'atmosphère. Le cratère subsistant était large de 390 mètres et profond de 97 mètres.

"Sedan a impliqué une charge relativement faible mise à feu à une certaine profondeur, mais il a provoqué un grand cratère et craché d'énormes quantités de radioactivité", relève Drell. "Pour détruire un bunker, atteindre une profondeur de seulement 15 mètres est déjà un défi. Dès lors, avec une arme suffisamment puissante pour détruire une cible profondément enterrée, imaginez les dommages qui en résulteraient à la surface."

Bien que les dévastations héritées des expérimentations nucléaires comme Sedan sont difficiles à effacer de la mémoire, il s'est produit récemment un vrai changement de perspective, encouragé au Pentagone par ceux qui espèrent minimiser la grande peur des attaques nucléaires et la remplacer par la notion qu'une première frappe américaine pourrait en fait être nécessaire dans l'environnement géopolitique actuel.

Cette attitude est illustrée par des propos qui auraient constitué un suicide politique jusqu'il y a peu, comme ceux du représentant Curt Weldon, républicain de Pennsylvanie, qui appelle à "libérer nos mains des lois obsolètes qui étouffent la recherche et le développement dans la technologie nucléaire anti-bunker." Seul un tel changement de politique, selon Weldon, permettra aux Etats-Unis de "se concentrer sur la prévention d'attaques chimiques ou biologiques, plutôt que devoir y répondre."



Texte original: Andrew Koch, "The Bunker Nightmare Goes Nuclear", Popular Science, 24.9.02    
Traduction et réécriture: Cap Ludovic Monnerat
    








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