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Les leçons de l'opération en Irak, où l'agonie brutale des anachronismes

20 avril 2003

Statue de Saddam Hussein à Kirkour, 10.4.03U

n mois après les premières frappes aériennes sur Bagdad, il est temps de tirer les premières leçons de l'opération "Iraqi Freedom". Si le détail de toutes les actions reste inconnu, les informations disponibles montrent clairement que plusieurs anachronismes ont été balayés par les forces alliées.

A première vue, les 26 jours de l'offensive conduite par les Etats-Unis en Irak constituent une remise à jour brillante de la blitzkrieg classique : une poussée mécanisée irrésistible, contournant les villes et franchissant promptement les cours d'eau, appuyée par l'aviation pour culbuter toute résistance et s'emparer finalement de la capitale adverse, correspond en effet au déroulement typique de la guerre éclair menée au début des années 40. Les images privilégiées par les médias, alternant selon leur positionnement respectif l'engagement des systèmes d'armes ou les souffrances des victimes, ont eu pour effet de confirmer pareille analogie.


«... Pratiquer à cette envergure l'excision d'un appareil gouvernemental correspond à une mutation stratégique majeure qui doit être étudiée. »


Cette impression superficielle ne rend toutefois pas compte des ressorts véritables de ce conflit. Loin de déclencher une guerre conventionnelle contre l'armée et l'infrastructure d'un Etat souverain, dont la population civile aurait indirectement fait les frais, l'opération militaire alliée a détruit le régime de Saddam Hussein en neutralisant son armée et en épargnant largement sa population. Or pratiquer à cette envergure l'excision d'un appareil gouvernemental, c'est-à-dire une forme de coup d'Etat que certains analystes qualifient même d'exorcisme, correspond à une mutation stratégique majeure qui doit être étudiée.



La guerre et l'éthique

Le déroulement de l'opération "Iraqi Freedom" témoigne en effet d'un changement radical dans la manière de faire la guerre, comme l'a relevé Daniel Pipes dans le National Post. Traditionnellement, un conquérant recherche la victoire par la destruction des organisations armées de l'adversaire sans trop se soucier des pertes en non combattants et des dégâts infligés aux infrastructures, et ses soldats se livrent avidement au pillage souvent même avant la fin des combats ; un tel modèle s'appliquait encore largement à la Seconde guerre mondiale, et décrit nombre des conflits incessants que connaît le Tiers-Monde. En Irak, nous avons pourtant assisté à l'inverse : les forces de la coalition n'ont pas cherché à affronter l'armée régulière irakienne, et elles se sont efforcées de minimiser les pertes dans la population civile alors même que Saddam Hussein a tenté de les multiplier en s'en servant comme bouclier humain pour son régime. De plus, les pillages qui ont suivi la chute de celui-ci étaient le fait de citoyens excédés par les privations et de bandes organisées, et non des soldats alliés – à qui l'on a au contraire reproché de ne pas s'opposer à ces débordements.

Ce renversement spectaculaire des intérêts, avec un défenseur voué aux massacres et aux destructions sur son propre sol face à un attaquant soucieux de mesure et de préservation, a abouti à des modes opératoires diamétralement opposés. Pendant les 16 premiers jours du conflit, les rues de Bagdad ont ainsi affiché une normalité surprenante ; à la différence de la Guerre du Golfe, les ponts n'ont pas été détruits par les frappes aériennes, et les coupures de l'alimentation en eau et en électricité ont aujourd'hui encore une origine inconnue. Les grandes villes du pays n'ont fait l'objet d'aucun siège et d'aucun pilonnage aveugle, et elles ont été prises en quelques jours par une suite de raids ciblant les éléments fidèles du régime. De plus, les formations spécialisées dans les affaires civiles ont suivi de près les unités de combat, afin d'organiser au plus vite la normalisation des services publics et l'acheminement de l'aide humanitaire – qui était d'ailleurs l'objectif principal de la prise du port en eau profonde d'Umm Qasr. En conséquence, les pertes en non combattants sont restées remarquablement faibles, entre 600 et 1252 morts selon les différentes déclarations de Bagdad, et la catastrophe humanitaire annoncée n'a pas eu lieu.

Soldat US embrassé par un Irakien

En face, les séides de Saddam Hussein ont pourtant tout fait pour augmenter le coût humain et matériel de cette guerre. Ils se sont fréquemment habillés en civil et mêlés à la population afin de se protéger, et ont menacé celle-ci de mort pour s'assurer sa présence durant leurs déplacements à proximité des soldats alliés. Ils ont systématiquement utilisé des bâtiments protégés comme des écoles, des hôpitaux et des mosquées pour entreposer des munitions ou aménager des positions de tir, aussi bien pour des groupes de fantassins que pour des véhicules blindés. Ils ont préparé le sabotage de presque tous les puits de pétrole du pays, et ainsi fomenté un désastre écologique et économique que seules la promptitude et l'initiative du Central Command ont permis d'empêcher. Ils ont planifié des attentats-suicides dans des rues peuplées ou avec des véhicules banalisés, et trompé perfidement les soldats alliés en simulant des pannes mécaniques ou la détresse de femmes enceintes. Ils ont même contraint des familles irakiennes complètes à se précipiter en voiture sur les checkpoints alliés pour simuler une attaque suicide et amener les soldats à ouvrir le feu, ce qui s'est effectivement produit à plusieurs reprises.


«... L'importance des opinions publiques constitue l'un des facteurs-clefs pour comprendre la nature de ce conflit et l'importance de la morale dans les guerres futures. »


Cette asymétrie de méthode s'explique en partie par le caractère hétérogène du public et de son opinion quant à cette guerre. Aux Etats-Unis, où 66% des citoyens interrogés le 17 mars approuvaient le déclenchement d'une opération militaire en Irak, les activistes anti-guerre se sont opposés de facto à leur pays en souhaitant ouvertement que celui-ci subisse une défaite militaire, ou à tout le moins des pertes importantes qui refroidiraient le bellicisme supposé de l'administration Bush. Mais ces prises de positions post-nationales et ces ruptures ouvertes avec le gouvernement ont également trouvé un écho en Irak, à la surprise de nombre d'experts ayant prédit un sursaut nationaliste et identitaire, puisqu'une grande part de la population a accueilli avec soulagement – et parfois avec euphorie – la chute du régime honni de Saddam Hussein, fut-ce au prix d'une guerre et d'une occupation étrangère. Cette importance des opinions publiques respectives constituent de ce fait l'un des facteurs-clefs pour comprendre la nature de ce conflit, et en particulier l'importance de la morale dans les guerres futures.

Le babillage incessant et l'outrance apocalyptique qui ont précédé l'opération "Iraqi Freedom" depuis maintenant une année, sans d'ailleurs avoir cessé aujourd'hui, ont ainsi trahi les conceptions anachroniques qui habitent leurs auteurs en matière de conflits armés. Les prédictions extraordinairement exagérées à propos de l'Irak ne doivent pas être oubliées. Plusieurs agences de l'ONU ont par exemple estimé qu'une conquête de l'Irak ferait environ 500'000 morts et blessés, un chiffre immédiatement repris par les activistes anti-guerre en parlant de 500'000 morts dans la population civile. L'Internationale des Physiciens pour la Prévention de la Guerre Nucléaire, qui a reçu un Prix Nobel de la Paix, a pour sa part calculé qu'une guerre en Irak ferait entre 48'000 et 260'000 morts durant le conflit, et 200'000 de plus dans les mois suivants. En fait, les auteurs de ces "études" fantaisistes ont simplement concrétisé leur conviction selon laquelle la guerre est une maximisation immorale de la violence armée aboutissant à des massacres et à des destructions sans limite. Ce qui est probablement proche de la réalité si l'on songe au Congo ou à la Tchétchénie, où les exactions n'ont guère de témoin, mais qui est diamétralement opposé à la manière occidentale moderne de combattre.

Alors qu'à travers les siècles le soldat était généralement le seul à voir et à éprouver les horreurs de la guerre, à l'exception des populations environnant les affrontements, il est aujourd'hui presque le dernier à en prendre conscience ; le pilote de chasseur-bombardier volant à 4000 m au sein d'un strike package, le servant de l'obusier en position à 15 km derrière les unités de mêlée ou le pointeur observant une cible dans le viseur infrarouge de son char de combat n'ont qu'une vision désincarnée de l'effet de leurs armes – une bouffée blanche sur fond verdâtre, ou un appel radio confirmant un coup au but – alors que le public y est confronté en couleur, en gros plan et presque en temps réel par les médias audio-visuels. Ce contraste entre le combattant en voie de robotisation et la victime érigée en symbole constitue à lui seul une objection morale de poids à l'usage de la force, et il impose une discrimination et une proportionnalité maximales pour sauvegarder ou rechercher l'adhésion du public. L'établissement de règles d'engagement fixant un équilibre entre la protection des troupes et la prévention des dommages collatéraux, l'engagement quasi exclusif de munitions intelligentes sur les zones urbaines et la livraison de biens humanitaires aux populations durant les combats montrent ainsi l'importance des facteurs éthiques dans les plans des Alliés. Parler de guerre juste ou illégitime n'est qu'une abstraction creuse si l'on ignore comment elle est menée.



Des effets dosés et ciblés

Si le massacre annoncé et prémédité n'a pas eu lieu, c'est parce que la guerre moderne n'est pas qu'affaire de destruction. La prééminence des éléments matériels dans toutes les évaluations n'est pas seulement due à l'héritage du renseignement militaire ; elle s'explique également par la facilité de leur appréhension même sommaire par rapport aux éléments immatériels, qui portent en eux la complexité infinie de l'être humain. Mais les conflits armés contemporains n'en sont pas moins régis par trois ensembles de facteurs : d'une part les facteurs physiques, prenant essentiellement la forme d'équipements et de systèmes quantifiables, qui déterminent la capacité d'agir ; d'autre part les facteurs psychologiques, identifiés de longue date au cours des guerres sans être précisément cernés, qui déterminent la volonté d'agir ; et enfin les facteurs éthiques, c'est-à-dire les valeurs rationnelles et sociétales qui dépassent l'individu et déterminent la nécessité d'agir. Pour comprendre les ressorts de la guerre en Irak, il faut ainsi examiner les actions des deux belligérants visant respectivement les chairs, les cœurs et les esprits.

Tout ou presque a été dit et écrit sur l'opération "Shock and Awe", la campagne de bombardement très médiatisée du Pentagone qui devait contribuer à provoquer l'effondrement du régime baasiste. Avant la guerre, les activistes du camp de la paix autoproclamé avaient dénoncé par avance cette offensive en la présentant comme un nouvel Hiroshima ; lorsqu'elle a été menée, les journalistes présents à Bagdad ont longuement décrit sa violence "inouïe", alors que les présentateurs des studios ont parlé de tapis de bombes et d'armes de destruction massive. Pourtant, les 500 missiles de croisière et les 1500 bombes exclusivement intelligentes tirées du 21 au 22 mars sur tout le pays n'ont fait que 3 morts selon les chiffres même de Bagdad, alors que les quelque 9000 bombes tombant sur une seule ville allemande en une nuit de la Seconde guerre mondiale faisaient par exemple des milliers de victimes. Ces frappes aériennes intenses ont par la suite été raillées pour leur apparente inefficacité, mais il s'agit de les considérer dans leur cadre de référence : la première tentative ouverte des Forces armées américaines de procéder à une opération d'envergure axée sur les effets, en appliquant une doctrine développée ces dernières années.

Chute de la statue de Saddam Hussein à Bagdad

Les Effects Based Operations tirent en effet partie de la précision des munitions pour cibler les points sensibles du dispositif adverse, et obtenir avec un minimum de force une efficacité équivalente à l'application d'une violence dévastatrice. Par opposition à "Desert Storm", où l'aviation alliée a mis 38 jours pour anéantir progressivement les capacités de conduite irakiennes puis les éléments de combat, le Central Command a mené pendant la première semaine de "Iraqi Freedom" des frappes concentrées presque exclusivement sur l'infrastructure de commandement du régime irakien. Ce n'est que lorsque les formations mécanisées ont atteint l'Euphrate et marqué en temps d'arrêt en raison des tempêtes de sables et de l'allongement de leurs lignes de communication, et que lorsqu'une brigade aéroportée a été déployée au Kurdistan pour renforcer les activités du front nord, que l'aviation alliée s'est massivement investie dans l'appui aérien rapproché pour détruire la résistance au sol – en bénéficiant justement du guidage terrestre. En d'autres termes, "Shock and Awe" a permis de segmenter et d'isoler les forces fidèles au régime de ses organes de conduite, alors que la pression aéroterrestre les a ensuite mis dans une situation sans issue.


«... La supériorité matérielle, mentale et morale des Alliés a permis de supprimer la dictature de Saddam Hussein sans s'aliéner la majorité de la population irakienne. »


Ainsi, les effets physiques exercés par les forces alliées ont été de trois types différents. D'une part, la décapitation du régime de Saddam Hussein, qui a inauguré le déclenchement de l'opération et s'est poursuivie durant presque toute l'opération à l'aide de frappes aériennes de précision souvent déclenchées par des renseignements périssables d'origine humaine, et qui a effectivement déconnecté le gouvernement de ses défenseurs. D'autre part, la destruction des forces fidèles au régime telles que la Garde républicaine, les milices baasistes, les fedayins de Saddam et les djihadistes étrangers, principalement par des offensives terrestres sous forme de raids et de coups de mains ainsi que par des frappes aériennes guidées à partir du sol, qui ont souvent tourné au carnage par la mythomanie suicidaire de ces combattants. Enfin, l'interdiction des mouvements sur les axes principaux et des franchissements de frontières, par l'insertion de forces spéciales à l'ouest comme à l'est du pays avec l'appui de l'aviation, a isolé le régime de renforts spontanés et empêché la fuite de certains dignitaires.

Mais les offensives psychologiques ont pour leur part eu des effets au moins aussi importants. Dans les mois qui ont précédé l'opération comme durant ses premiers jours, les largages de tracts, les émissions audio-visuelles et les contacts établis directement avec les commandants de l'armée régulière ont largement convaincu ceux-ci de ne pas prendre part aux combats, alors que leurs hommes se sont presque tous fondus dans la population. A Bassorah, les annonces de la reddition de la 51e division d'infanterie irakienne complète ont par exemple été critiquées lorsque seul un quarteron de prisonniers de guerre est apparu, mais on sait aujourd'hui que les Alliés ont simplement ordonné aux 8000 soldats que comptait cette division de rentrer chez eux pour s'éviter le fardeau de leur prise en charge. De même, les frappes de décapitation menées sur le sommet du régime ont certainement multiplié le soupçon et la paranoïa en son sein, alors que le ciblage des postes de commandements militaires mobiles ou statiques ont réduit ceux-ci à n'utiliser que des courriers motorisés pour la transmission des informations et des ordres. Enfin, l'un des espoirs de Saddam Hussein, à savoir la perte du soutien populaire aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne par l'effet psychologique de pertes nombreuses dans leurs rangs, a été contrecarré par l'efficacité des formations et la performance des équipements.

Dans le domaine des facteurs éthiques, en revanche, la coalition a souffert de la légitimité incertaine de son opération et est restée largement sur la défensive. En refusant l'évacuation de sa population et en l'utilisant comme bouclier humain pour son régime et pour ses forces, Saddam Hussein a en effet cherché à multiplier les pertes civiles et à les instrumentaliser comme outil moral. Il est aujourd'hui presque certain que les explosions survenues sur deux marchés de Bagdad aux heures de pointe, les 26 et 28 mars, étaient le fait de bombes disposées par un régime que la précision des frappes alliées alarmait. Par l'entremise de médias dissimulant parfois leurs accords sordides avec le régime, les opinions publiques mondiales ont ainsi été prises d'assaut par des images soigneusement mises en scènes de victimes authentiques, et dont les douleurs faisaient partie d'une stratégie délibérée. Face à cette rude offensive, les militaires alliés n'ont eu pour eux qu'une bonne foi insuffisante et des efforts pour acheminer des biens de première nécessité aux populations passées sous leur contrôle. C'est uniquement le passif éthique insurmontable du régime irakien au sein de sa propre population qui a permis à la coalition d'être accueillie favorablement dans la plupart des villes, et d'ainsi montrer au monde que son action constituait effectivement une libération.



Des opérations globales et simultanées

La supériorité matérielle, mentale et morale des Alliés est donc à la base de ce succès consistant à avoir supprimé la dictature de Saddam Hussein sans s'aliéner la majorité de la population irakienne, et cette domination mêlant les capacités, la volonté et la légitimité démontre l'obsolescence du modèle traditionnel des guerres entre Etats et entre peuples par rapport à "Iraqi Freedom". Afin d'y parvenir, le Central Command a d'ailleurs mis près d'une année pour concevoir, tester et peaufiner un plan intégrant toutes ces notions, et il n'a pu le faire qu'en superposant à un degré sans précédent des opérations à la fois simultanées et dispersées, symétriques ou non, sur terre, en mer ou dans les airs. L'un des éléments-clefs de ce conflit reste en effet l'usage constant par la coalition de forces non conventionnelles utilisées comme multiplicateur de forces conventionnelles ou comme moyen d'action et d'information stratégique. Cette application moderne des préceptes de Sun Tzu, qui recommandait l'engagement de forces à la fois régulières et irrégulières pour rompre l'équilibre de l'adversaire, illustre la transformation de la pensée militaire américaine et son application décomplexée dans la foulée de 11 septembre.

Bien entendu, les médias n'ont que rarement eu l'occasion d'observer ces activités discrètes ou même clandestines, et il est probable que le grand public n'a aujourd'hui connaissance que d'environ 10% des activités militaires et paramilitaires menées dans les 26 jours de ce conflit. En fonction de leurs moyens et de leurs choix rédactionnels, les chaînes de télévision ont surtout montré deux types d'images : les explosions spectaculaires sur Bagdad, avec les visites organisées par le régime dans ses hôpitaux, et l'avancée irrépressible des boys sur la capitale, avec des convois blindés sans fin et des accrochages ponctuels. Pourtant, les forces d'opérations spéciales déployées par la coalition ont dénombré plus de 10'000 hommes et femmes, et leur impact a été tellement déterminant qu'il faut étudier leur engagement. Dans l'ensemble, on peut estimer que les forces non conventionnelles se sont approximativement réparties de la manière suivantes : 2000 opérateurs de forces spéciales, 1000 militaires des opérations psychologiques, 1000 membres d'équipages de formations aériennes spéciales, 2000 soldats d'infanterie d'élite presque tous aéroportés, 2000 spécialistes des affaires civiles, ainsi que 2000 soldats et traducteurs des "Forces irakiennes libres" et d'autre origine.

Tract largué en Irak

Les forces spéciales américaines, britanniques et australiennes ont rempli trois missions de manière relativement ouverte : elles ont opéré dans tout l'ouest du pays et pris le contrôle des axes reliant l'Irak à la Jordanie et à la Syrie, encadré les combattants kurdes en les appuyant par des feux air-sol dévastateurs et récupéré du personnel en zone hostile. Elles ont également servi d'échelon avancé pour des forces amphibies ou aéroportées dans la prise de contrôle d'infrastructures essentielles, comme les installations pétrolières et les barrages de retenue. Elles ont aussi mené des reconnaissances et des actions offensives dans tout le pays, prenant pour cibles des installations ou des formations avec l'appui de l'aviation, et établi des contacts directs avec des chefs de clans et des commandants irakiens – en coordination probable avec des éléments de la CIA. Mais il faut surtout s'imaginer l'effet d'ensemble de ces éléments opérant isolément. Pour la seule US Army, entre les 5e et 10e groupes de forces spéciales, ce sont en effet 88 détachements de 12 hommes qui ont été engagés en Irak, avec chacun une mission et un secteur propres. Si l'on y ajoute les SEALs de la Navy, les SAS britanniques et leurs homologues australiens, il y a probablement eu jusqu'à 120 détachements présents simultanément dans tout le pays, opérant directement sous les ordres du Central Command, lui fournissant un aperçu global de la situation au sol tout en saturant, aveuglant et fixant les forces irakiennes.


«... Les unités des opérations psychologique ont largement contribué au fait que les 5 corps de l'armée régulière irakienne se sont volatilisés presque sans combattre. »


Mais d'autres forces non conventionnelles ont joué un rôle essentiel dans l'issue de ce conflit : les unités spécialisées dans les opérations psychologiques. Tout comme les forces spéciales, elles ont été engagées plusieurs mois avant le déclenchement de l'offensive pour rédiger des messages et les répandre à destination de la population, de l'armée ou des cadres de l'Irak par des émissions radio et TV, par des tracts (50 millions d'exemplaires ont été largués) ainsi que par des contacts directs via le courrier électronique, le téléphone portable ou le fax. Ce sont principalement ces moyens qui ont fait en sorte que les 5 corps de l'armée régulière irakienne se sont volatilisés presque sans combattre. Cependant, les unités psyops ont également pris part à l'offensive en appuyant directement les formations de pointe, avec des petits détachements de militaires arabisants circulant sur des Humvees équipés de puissants haut-parleurs. A Bassorah, ils ont diffusé de nombreux appels à la reddition que les fidèles du régime, miliciens du parti Ba'as ou fedayins de Saddam, ont largement ignoré. A Nasiriyah, ils ont affaibli les défenseurs en émettant toute les nuits des enregistrements du bruit émis par les chars de combat M1A1 Abrams des Marines. A Bagdad, ils ont au contraire suscité la réaction acharnée et suicidaire des djihadistes étrangers et des fedayins en diffusant des messages mettant en doute la virilité des hommes arabes – et ceci en plein milieu des éléments blindés de tête menant un raid.

Leur engagement recouvre cependant tout le spectre des opérations, et la transition vers la stabilisation et la reconstruction ne les a pas pris au dépourvu : les unités psyops ont notamment produit un journal en arabe expliquant les intentions de la coalition et elles l'ont distribué dans tout le pays. Dans une telle phase, ce sont néanmoins les formations spécialisées dans les affaires civiles – au demeurant très proches vu que leur instruction est en partie commune – qui influent le plus sur la conduite des actions. Essentiellement formées de réservistes ayant développé des compétences de haut niveau par leur carrière civile, les unités d'affaires civiles ont suivi de près les formations de combat et les ont appuyées en faisant office d'intermédiaires entre les militaires d'une part, et les autorités locales ainsi que la population d'autre part. Leur fonction principale consiste ainsi à éviter les frictions et à faciliter la remise en marche des services publics et des composantes administratives de la nation. Elles permettent également de collaborer plus facilement avec les ONG présentes sur le théâtre d'opérations, et de conseiller efficacement le commandement militaire dans la manière d'assurer ses responsabilités dans les zones sous son contrôle.

Dans cette perspective, il faut également relever l'importance considérable que les exilés et opposants irakiens ont prise au cours de cette opération. Les soldats des "Forces irakiennes libres" qui sont arrivés à Najaf ou à Bagdad ne représentent en effet qu'une fraction des efforts fournis par les Irakiens souhaitant avant toute chose la fin du régime de Saddam Hussein. La préparation du background culturel de la coalition, la planification des psyops, l'établissement de contacts préalables dans le pays, la détermination des points névralgiques du régime, l'évaluation des renseignements obtenus à distance, mais également la prise de contact personnelle, l'interrogatoire de prisonniers ou de civils, la lecture de messages par radio ou haut-parleur ainsi que la traduction lors des échanges entre Alliés et Irakiens ont tous vu l'engagement d'exilés recrutés et instruits des mois avant l'offensive. Naturellement, les intérêts politiques de ces Irakiens faisant presque tous partie de l'opposition au régime sont transparents, mais leur présence a permis d'amenuiser le choc des cultures résultant de l'engagement massif de soldats occidentaux en terre arabe, qui plus est à proximité immédiate des lieux saints chiites. A terme, l'efficacité de toute l'opération leur devra beaucoup.



Intégration et innovation

Cependant, si ces multiplicateurs de forces ont transformé la nature et le déroulement de la guerre, les forces multipliées ont elles aussi démontré des capacités sans précédent en matière de réactivité, de survivabilité et d'endurance. Franchir en 21 jours de combats souvent féroces les 550 km séparant la base d'attaque koweïtienne du centre de Bagdad, répondre promptement à la résistance asymétrique et perfide des paramilitaires du régime, assurer la poursuite des opérations malgré des tempêtes de sable d'une violence inouïe, défaire des milliers de combattants fanatiques pour 157 soldats alliés morts et moins de 600 blessés, ou encore s'emparer de toutes les villes en quelques jours sans les détruire et sans les affamer, ont constitué des accomplissements tellement brillants qu'ils ont de fait renvoyé à leurs études les pronostiqueurs souvent apocalyptiques – et partiaux – de cette guerre. Les prévisions de sièges interminables, de guérillas insaisissables et de destructions à grande échelle ont été démenties par l'aptitude des Alliés à devancer leurs adversaires et à s'adapter à leur dispositif, c'est-à-dire à opérer à l'intérieur de leur boucle de décision. Quelque 25 divisions de l'armée régulière irakienne, 7 divisions de la Garde républicaine, la division de la Garde républicaine spéciale ainsi que des milliers de combattants paramilitaires n'ont pu empêcher à peine 5 divisions alliées de s'enfoncer comme une lame dans le pays et de frapper à mort le cœur du régime.

Mesurée à l'aune du temps nécessaire et des pertes subies ou infligées, l'efficacité militaire de la coalition a donc moins dépendu des faiblesses adverses que de ses propres forces. Avec en premier lieu la qualité du renseignement. Sur le plan stratégique, il est tout de même saisissant de constater que le Pentagone avait une bien meilleure connaissance de la population irakienne que le régime de Saddam Hussein : si les soldats coalisés ont été souvent accueillis en libérateurs dans les villes, les djihadistes étrangers venus défendre celles-ci ont été tout aussi souvent accueillis à coups de Kalachnikov et traqués comme des suppôts de Saddam par les Irakiens. De même, les frappes de décapitation du régime ont démontré l'existence de renseignements d'origine humaine et donc la présence d'agents à Bagdad même ; ce sont ainsi 100 frappes aériennes stratégiques qui ont été menées sur la base de renseignements périssables par un groupe de ciblage spécialement dédié. Sur le plan opératif, par ailleurs, la multiplication par 100 de la bande passante disponible par rapport à la Guerre du Golfe a permis à la coalition de redistribuer plus rapidement – et parfois en temps réel – les produits des plates-formes d'acquisition, qu'il s'agisse de la dizaine de satellites passant au-dessus de la région, de la vingtaine de drones Predator et Global Hawk engagés directement par le Central Command, des bandes prises par les avions-radars JSTARS scrutant le sol en permanence ou encore des localisations et identifications effectuées par les systèmes d'exploration électronique.

Marine sur une autoroute en Irak

Cette interconnexion des renseignements s'est en outre accompagnée d'une intégration interarmées et multinationale sans précédent. Dans plusieurs domaines, et en particulier celui de l'appui air-sol, les contingents de la coalition ont dépassé le stade de l'interopérabilité pour devenir interchangeables ; les blindés britanniques appuyés par des hélicoptères américains, les forces spéciales australiennes guidant des bombes larguées par un chasseur-bombardier américain lui-même ravitaillé par un tanker britannique, ou encore les officiers des psyops américains accompagnant les unités de reconnaissance britanniques l'ont clairement démontré. Au sein des Forces armées américaines, les barrières traditionnelles s'opposant à l'intégration interarmées semblent également se réduire de manière spectaculaire. Le sauvetage du soldat Jessica Lynch à l'hôpital de Nasiriyah, au soir du 1er avril, l'a prouvé : planifiée en quelques heures sur la base d'un renseignement de source humaine, cette extraction a été menée par des SEALs de la Navy, dans un cadre fourni par les Rangers et les hélicoptères de l'Army, avec une diversion organisée par les Marines et un appui aérien de l'Air Force. Voici quelques années encore, une action de ce type n'aurait jamais pu être préparée et conduite de manière aussi rapide et efficace.


«... La stratégie de Saddam Hussein a été contrée en moins de 24 heures par le renforcement des convois logistiques et l'adaptation des règles d'engagement. »


L'accélération des cycles de décision par l'interconnexion et l'informatisation des commandements de niveau opératif explique d'ailleurs la capacité de réaction des Alliés. La stratégie de Saddam Hussein consistant à disperser des forces légères dans tout le sud du pays pour tenter d'y mener une guérilla meurtrière et à recourir à l'attentat-suicide pour essayer d'infliger des pertes massives aux forces coalisées a été contrée en moins de 24 heures par le renforcement des convois logistiques et l'adaptation des règles d'engagement ; quelques jours ont par ailleurs suffi pour engager l'équivalent d'une petite division légère – avec la 2e brigade de la 82e aéroportée, la 800e brigade de police militaire et la Task Force Tarawa regroupant les 3000 soldats des 15e et 24e unités expéditionnaires des Marines – capable d'assurer les lignes de communication alliées, et d'ainsi permettre aux formations lourdes de reprendre leur poussée sur Bagdad. De plus, le complexe reconnaissance-frappe a également été accéléré, afin notamment d'exploiter les opportunités issues de renseignements périssables. Entre l'arrivée de l'information signalant la présence de Saddam Hussein dans un bâtiment du quartier d'Al-Mansour à Bagdad le 7 avril et l'impact des 4 bombes GBU-31 larguées par un bombardier lourd B-1B, il s'est par exemple écoulé 45 minutes : 33 minutes pour la préparation du raid, le choix du vecteur, l'évaluation des dommages collatéraux, la décision de frapper et la transmission de l'ordre afférent, et 12 minutes pour l'entrée des coordonnées GPS par l'équipage et l'engagement des armes.

L'impact drastiquement accru de l'aviation est également un facteur qui a été sous-estimé avant cette opération. De la première frappe aérienne jusqu'à la prise de Tikrit, les quelque 1000 avions d'attaque de la coalition ont largué environ 30'000 bombes, dont 23'000 guidées, alors que près de 800 missiles de croisière Tomahawk et CALCM ont été tirés. Cependant, à la différence notable de la Guerre du Golfe ou de l'opération "Allied Force" au-dessus de la Serbie, une bonne part de ces munitions ont été guidées par des contrôleurs aériens avancés déployés au sol, principalement au sein de détachements de forces spéciales. Cette combinaison déjà irrésistible en Afghanistan explique en grande partie les pertes infligées aux divisions de la Garde républicaine, dont la capacité opérationnelle estimée a été réduite de moitié en moins d'une semaine. Chaque chasseur-bombardier engagé dans une mission air-sol combattait plusieurs cibles distinctes, selon un ordre d'engagement aérien fourni par le centre d'opérations aériennes multinational, ou selon les demandes provenant des troupes au sol. Par conséquent, même en menant une moyenne de 1400 sorties quotidiennes au-dessus de l'Irak contre 3000 durant la Guerre du Golfe, les Alliés ont appliqué une puissance aérienne dont la précision et la flexibilité ont au moins triplé l'efficacité.

Le coup de grâce n'en devait pas moins être porté, et il fallait pour cela que les formations terrestres s'emparent des passages obligés sur les fleuves et parviennent avec une force suffisante en bordure des villes afin d'y entrer de manière décisive. Pour encercler Bagdad avec 30'000 hommes tout en permettant à 70'000 autres d'opérer principalement au sud du pays, il a d'abord fallu réaliser un exploit logistique : livrer chaque jour à des forces situées jusqu'à 550 km des bases logistiques l'équivalent de 10 millions de litres de carburant, 1,5 millions de litres d'eau, 300'000 repas – soit en tout plus de 12'000 tonnes de ravitaillements. Cependant, la capacité des formations de mêlée à s'emparer des villes et en détruisant les forces fidèles au régime irakien avec des pertes négligeables dans leur camp n'est pas moins impressionnante. La 3e division d'infanterie a pris la moitié ouest de Bagdad en menant des raids sanglants : les centaines de roquettes antichars tirés par les défenseurs irakiens et étrangers se sont écrasées presque sans dommage sur les blindages renforcés des chars américains, alors que leurs canons et leurs mitrailleuses ont fait des ravages – un seul bataillon mécanisé annonçant le 8 avril plus de 800 ennemis tués contre 2 seuls dans ses rangs. De même, la 1ère division blindée britannique a pris Bassorah en une semaine au prix de 3 morts, alors qu'initialement 2000 combattants lui résistaient. Le piège tant redouté du combat en milieu urbain s'est refermé sur ceux qui l'avaient tendu – ultime surprise d'un conflit annonciateur de guerres différentes.



L'épée de Damoclès américaine

Le caractère dominant des éléments éthiques, la simultanéité d'effets divers et dispersés, l'omniprésence des forces non conventionnelles ainsi que l'accélération et l'optimisation des actions sont à mon sens les principaux fondements de l'opération "Iraqi Freedom". Mue par une volonté politique solide et portée par un concept stratégique clair, la machinerie militaire alliée est parvenue en trois semaines à balayer nombre d'anachronismes intellectuels qui affectent encore le monde occidental. L'idée que la guerre constitue un affrontement armé entre nations, déchaîne des violences incontrôlables, provoque des pertes civiles massives, génère immanquablement une catastrophe humanitaire et de ce fait représente la pire des solutions a volé en éclats dans la foulée des soldats alliés en Irak. Les affrontements entre militaires étaient censés faire des centaines de milliers de morts, la population irakienne était censée se dresser en un sursaut nationaliste et les infrastructures du pays étaient censées être entièrement détruites, car toute une génération de dirigeants et d'éditorialistes a vu ce conflit à travers le filtre déformant d'une histoire biaisée – Bagdad devenant Stalingrad, le Tigre ressemblant au Mékong et Saddam prenant des airs de Che Guevara. En fait, la transformation de la guerre reste encore un phénomène largement ignoré, parce que les préjugés et les idéologies qui s'y rapportent sont préférés à son étude. Alors que l'âge de l'information commence à peine sa révolution.

Les forces alliées présentes dans le Golfe étaient en effet loin d'être fondamentalement différentes de celles qui les ont précédées 12 ans plus tôt. Si les forces aériennes et navales ainsi que les outils de commandement opératifs ont effectivement été transfigurés par l'intégration des technologies digitales, les formations terrestres étaient au contraire largement similaires à celles ayant expulsé l'armée irakienne du Koweït. Les hélicoptères d'attaque Cobra et Apache, les chars de combat Abrams et Challenger, les véhicules de combat d'infanterie Bradley et Warrior ou les lance-roquettes multiples engagés dans les combats n'ont en fait subi que des améliorations parfois mineures depuis 1991. La première Grande unité entièrement digitalisée de l'US Army – la 4e division d'infanterie – est entrée en action trop tard pour influencer la décision, et la mission de stabilisation qui lui est aujourd'hui impartie n'exploite qu'une fraction de ses capacités révolutionnaires. Autrement dit, les transformations drastiques initiées par les Forces armées américaines durant les années 90 pour faire face au monde de l'après-guerre froide n'ont de loin pas encore été pleinement concrétisées. Dans le courant de la décennie actuelle, leurs capacités seront encore multipliées par de nombreuses innovations matérielles, comme la généralisation de l'Internet tactique propre à la 4e DI, la digitalisation des fantassins individuels avec le système Land Warrior ou encore la multiplication des micro-drones, ainsi que par une maturation doctrinale fondée sur l'étude des engagements récents.

Prise du pont de Hindiyah par la 3e DI, 31.3.03

La performance des Alliés en Irak n'a en effet pas été brillante dans tous les domaines. La conception globale de l'opération avec ses planifications prévisionnelles a fait ses preuves, mais la planification subséquente n'était pas à la hauteur : il suffit pour le souligner de rappeler l'incapacité des soldats US à protéger certains objets-clés culturels ou industriels à Bagdad alors même qu'ils figuraient au sommet d'une liste en dressant l'inventaire. De même, la capacité d'alterner promptement les actions de coercition armée et de maîtrise de la violence et de pratiquer simultanément et dans un même environnement urbain le combat, la stabilisation et l'aide humanitaire sont des objectifs encore à atteindre, bien que leur nécessité ait été cernée depuis plusieurs années déjà. Sur le plan médiatique, l'intégration de journalistes aux forces terrestres a eu des effets remarquablement positifs, mais le fait que de tels témoins ne puissent travailler librement dans tout le théâtre d'opérations permet à un adversaire perfide de massacrer sa propre population et de saboter ses propres installations en imputant les dommages aux forces alliées. Enfin, les outils militaires restent toujours aussi peu adaptés pour la recherche et la capture de personnages isolés, alors même que l'émergence de l'individu comme acteur stratégique est l'un des faits de notre époque. Mais comme des officiers appartenant au Centre des leçons apprises de l'US Army ont par exemple directement accompagné les formations de combat, il y a fort à parier que le tranchant de celles-ci va encore s'aiguiser.


«... Les Forces armées américaines sont aujourd'hui une épée de Damoclès oscillant lourdement sur tous les régimes dictatoriaux de la planète. »


Car les Forces armées américaines sont aujourd'hui déjà une épée de Damoclès oscillant lourdement sur tous les régimes dictatoriaux de la planète. Leur capacité à s'appuyer sur le ressentiment des populations locales pour oblitérer un gouvernement autocratique en neutralisant ses forces armées, avec le soutien de leur propre opinion publique, fait transpirer à grosses gouttes les pires tyrans de notre époque, du Cher Leader au Lider Maximo en passant par le dentiste de Damas ou les ayatollahs de Téhéran. Cette lame met certes du temps pour porter des coups décisifs, en raison de contingences logistiques et morales, et elle ne peut être utilisée trop fréquemment sous peine d'émoussement ou d'ébrèchement, mais même un peuple réduit tout entier au rôle de bouclier humain ne l'empêche pas de frapper sans rémission ses dirigeants. Au sens strict du terme, l'opération "Iraqi Freedom" n'était pas une guerre, mais une action de police prenant la forme d'une libération d'otages, un coup d'Etat consensuel que des foules entières confondent encore avec une conquête coloniale. Les images des statues de Saddam Hussein s'abattant dans la liesse populaire ont jeté presque autant de stupéfaction dans les palais inaccessibles du Tiers-Monde, dans les rues mythomanes du monde arabe et dans les PC chinois ou russes que dans les chancelleries et les officines militantes du continent européen. Quand l'Histoire est en marche, rester scotché aux idées du passé ne permet guère de la suivre.

Bien évidemment, les cibles futures ou supposées de la Maison Blanche poursuivent leur quête pour accroître leurs capacités ; mus durant les années 90 par la faiblesse supposée du géant américain, ces adversaires sont désormais animés par la crainte de sa puissance. Mais leur dilemme n'en paraît pas moins insurmontable : les gouvernements centralisés et dictatoriaux, utilisant le monopole de la violence armée pour spolier leur propre population et s'appuyant pour ce faire sur des forces strictement hiérarchisées, formées à des tâches répressives et adeptes de la rétention d'information, sont à présent des cibles idéales pour les Forces armées américaines. Résister au mieux aux actions potentielles de celle-ci passe en fait par l'adhésion spontanée de la population à son gouvernement, la décentralisation et le partage des responsabilités, le recentrage des armées sur la défense des intérêts collectifs et la généralisation dans leurs rangs de l'indépendance d'esprit et de l'initiative individuelle ; en d'autres termes, le Pentagone est aujourd'hui l'un des principaux vecteurs potentiels de démocratisation dans le monde, ce qui ne manque pas d'ironie lorsque l'on considère certains discours ambiants. Bien sûr, nombre d'adversaires des Etats-Unis refuseront de renoncer à leurs ambitions et poursuivront leur quête de pouvoir par le terrorisme transnational, les armes de destruction massive et la combinaison des deux. La guerre mondiale déclenchée le 11 septembre 2001 n'est pas près de s'achever.

Mais l'initiative appartient encore et toujours aux locataires actuels de la Maison Blanche. Leur ambition de transformer le Proche-Orient pour qu'il cesse de recourir au terrorisme pour masquer son sous-développement économique et politique doit aussi bien éviter la prudence excessive du joueur auquel la chance jusqu'ici sourit que l'ivresse suscitée par une puissance surestimée. De même, leur volonté de ne plus considérer comme souverains les Etats autocratiques doit en permanence être légitimée par le soutien des populations locales – quelle que soit l'opinion des foules aveugles qui de par le monde s'acharnent à l'ignorer. Et s'il est certain que l'Amérique est en train de changer le monde, il faut aussi rappeler que le désastre est souvent proche du succès, que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Espérons seulement que l'Europe cesse de défendre la souveraineté des dictatures, le statu quo des impostures internationales et la survivance d'un siècle révolu.



Maj EMG Ludovic Monnerat    









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