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Une tentative de coup d’État appuyée par l’Iran confirme l’importance du conflit irakien

11 avril 2004

Sniper des Marines à FalloujahL

e conflit de basse intensité que connaît l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein a pris un tour nouveau depuis une semaine, avec l’insurrection ouverte d’une milice chiite appuyée par l’Iran et la résistance concentrée de combattants sunnites appuyés par la Syrie. Analyse.

Le spectre du Vietnam a fait sa réapparition. Malgré une période de 20 jours en mars dernier durant laquelle un seul soldat américain est décédé d’une action hostile, la métaphore du bourbier reste la seule perception propagée par la plupart des médias. Depuis l’offensive lancée par la milice chiite de Moqtada Al-Sadr, on parle désormais de soulèvement populaire généralisé contre la coalition – quand bien même on l’annonçait « imminent » l’été dernier déjà. Autant dire que l’émotion prend toujours le pas sur la réflexion, alors même que le conflit irakien vient de connaître une transition majeure.


«... A l'heure actuelle, la principale préoccupation du général Ricardo Sanchez, commandant de la CJTF-7, doit probablement être la maîtrise de la violence armée exercée par ses propres troupes. »


La situation actuelle en Irak peut être résumée ainsi : un imam intégriste ayant les faveurs de 0,6% des Irakiens, d’après la récente enquête d’opinion d’Oxford International, tente de prendre par la force et par l’image le pouvoir qu’il n’aura jamais par les urnes. Les foules apparemment spontanées qui crient aujourd’hui leur adoration d’Al-Sadr ne font qu’illustrer les méthodes parfaitement rôdées utilisées jadis pour démontrer la ferveur censée entourer Saddam Hussein. Mais c’est l’implication désormais ouverte des États voisins ayant dans l’immédiat le plus à craindre d’un Irak démocratique, soit la Syrie et l’Iran, qui constitue le fait essentiel de cette semaine.



Un coup d’État classique, mais raté

Personnage aujourd’hui central du conflit irakien, Moqtada Al-Sadr est caractérisé par une ambition dévorante et un opportunisme à toute épreuve. Après avoir successivement condamné l’occupation militaire, défié les principaux imams chiites, tenté de prendre le contrôle de lieux saints, puis traité les soldats coalisés d’invités, appelé à la collaboration avec eux, espéré un siège dans le Gouvernement provisoire, formé une milice personnelle, constaté son impopularité durable et observé l’échec des partis religieux dans les premières élections du pays, Al-Sadr a brusquement décidé de passer à l’action armée. La fermeture de son journal ordonnée par la coalition, l’arrestation par la police de plusieurs membres de son organisation et la tension provoquée par le massacre de Falloujah l’ont certainement convaincu d’entreprendre ce qui ressemble néanmoins à une fuite en avant.

Du 4 au 6 avril, sa milice portant le nom d’Armée du Mahdi a ainsi entrepris un coup d’État classique au centre et au sud de l’Irak : capturer les principaux bâtiments gouvernementaux, désarmer ou neutraliser les forces de l’ordre, s’emparer des stations radio/TV et contrôler les passages obligés des axes principaux. Plusieurs milliers d’hommes, disponibles sur place ou circulant à bord de véhicules tout-terrain, habillés en civil ou portant des tenues noires, ont ainsi été déployés dans presque toutes les grandes villes à majorité chiite du pays. Armés de fusils d’assaut, de lance-roquettes, de grenades et d’explosifs en nombre, ces miliciens n’ont eu aucune difficulté à repousser les policiers irakiens équipés souvent de simples pistolets, et qui dans la plupart des cas se sont contentés de laisser faire.

Cette opération clairement planifiée visait à obtenir un impact psychologique maximal sur la population irakienne et les opinions publiques mondiales, par l’entremise des médias et en utilisant deux principes-clefs : la surprise et la simultanéité. L’objectif consistait à donner l’impression d’un effondrement soudain et d’un chaos généralisé, ancré dans une revendication populaire. Par le passé, l’organisation d’Al-Sadr avait déjà démontré sa capacité à déplacer et à concentrer plusieurs milliers de fidèles pour fournir l’apparence d’un soutien massif. En combinant déclarations enflammées, scènes de miliciens enthousiastes et manifestations « spontanées » dans son fief bagdadi, Al-Sadr est parvenu à orienter de manière drastique la perception des médias internationaux, tout en augmentant notablement son aura auprès des couches défavorisées de la population.

Sur le terrain, ses troupes ont cependant connu un sort différent. A Bassorah, les sadristes ont réussi à prendre inopinément le bâtiment du Gouverneur, mais l’encerclement des troupes britanniques les ont contraint à la négociation puis au retrait. A Nasiriyah, ils se sont heurtés aux troupes italiennes et ont perdu au moins 15 hommes sans parvenir à leurs fins. A Karbala, les troupes polonaises et bulgares les ont également bloqués et leur ont infligé des pertes équivalentes. A Samawah, une tentative d’attaque a été rapidement repoussée par le contingent hollandais. A Kut, entre 400 et 500 miliciens sont parvenus à imposer le retrait d’un petit contingent ukrainien, mais une contre-attaque de la coalition les a mis en fuite. Quant aux deux quartiers de Bagdad où elle est implantée, la milice sadriste n’y agit que sous le couvert de la nuit. Seule la ville de Koufa et des portions de Nadjaf restent vraiment entre ses mains.

Les membres de l’Armée du Mahdi ont ainsi démontré les limites de leurs capacités. Hormis une embuscade initiale le 4 avril qui a coûté la vie à 8 soldats américains patrouillant à Bagdad, les sadristes ne sont parvenus à tuer en une semaine que 10 soldats de la coalition pour la perte d’au moins 150 hommes ; leur fanatisme apparent et le culte de leur chef ne se traduisent donc guère au combat. Par ailleurs, leurs actions n’ont eu qu’un impact contrasté sur la population irakienne, qui ne s’est pas soulevée et qui considère toujours avec méfiance ce jeune extrémiste parlant de guerre sainte lorsque la majorité aspire à la paix. Dans certains cas, des éléments locaux ont même pris les armes pour repousser les sadristes et aider la coalition, notamment à Kut sur l’initiative de chefs tribaux. En revanche, les Irakiens déjà opposés à la coalition ont trouvé une nouvelle figure de proue pour exprimer leur ressentiment.

Mais ce ressentiment est largement suscité par les informations, souvent déformées et exagérées, qui leur parviennent des combats à Falloujah. Depuis une semaine, quelque 2000 Marines appuyés par 900 Irakiens ont en effet lancé un assaut général de la ville, dans laquelle se sont retranchés de nombreux combattants affiliés à l’insurrection menée depuis près d’une année par les fidèles de l’ancien régime, aux bandes armées qui y proliféraient même sous celui-ci et aux nationalistes arabes venus défier les troupes américaines. Or les Marines font preuve d’une efficacité tellement meurtrière, avec leur maîtrise du combat urbain d’infanterie et leur appui à la fois terrestre et aérien, que les affrontements sont résolument unilatéraux : en 7 jours, les 2 bataillons de Marines déployés ont perdu 8 hommes et tué plus de 300 adversaires. L’usage de la population civile comme bouclier humain et de bâtiments religieux comme positions de tir contribue encore à détériorer l’image des combats.

La simultanéité des deux actions, à savoir la réduction de l’insurrection à Falloujah et la mise en fuite des intégristes chiites, fournit naturellement les bases d’un rapprochement dont les signes sont apparus à plusieurs reprises. Il n’en demeure pas moins que le passage en force de Moqtada Al-Sadr, concrètement dirigé contre la hiérarchie religieuse chiite qui s’oppose à son essor, se trouve dans une impasse. Apparemment réfugié dans la ville sainte de Nadjaf, à la veille de cérémonies religieuses qui lui fourniront un répit bienvenu, le jeune imam a vu ses forces être décimées sans que son aura ne parvienne à dépasser les quartiers qui lui étaient déjà acquis ; mais si l’échec de son action a encore contribué à renforcer le rôle du Grand Ayatollah Sistani, dont l’influence reste déterminante sur la population chiite, elle a aussi dévoilé le rôle subversif de l’Iran dans le processus démocratique irakien, et par répercussion celui de la Syrie.



Les ennemis de l’Irak démocratique

L’implication de l’Iran dans le nouvel Irak a été assez rapide, comme en a témoigné l’arrivée dès la mi-avril 2003 des principaux dignitaires du Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak. Cependant, à la surprise de Téhéran et des ayatollahs les plus intégristes, leurs « frères » chiites irakiens se sont d’emblée montrés très réticents à l’idée de faire de l’Irak un État islamique. L’Iran a donc diversifié ses liens et choisi de soutenir Moqtada Al-Sadr, lui-même marginalisé au sein du clergé chiite, et dont la famille a des liens anciens avec le Hezbollah soutenu par l’Iran. Depuis une année, Al-Sadr s’est rendu 4 fois en Iran pour conférer avec les principaux dignitaires religieux, et les autorités de la coalition soupçonnaient depuis longtemps que ces réunions avaient pour but l’obtention d’appuis avant tout financiers. Le soutien de Téhéran semble désormais évident.

Le quotidien saoudien basé à Londres Al Sharq Al Awsat a ainsi révélé dans son édition du 9 avril que l’Iran aurait construit 3 camps d’entraînement situés près de la frontière, et dans lesquels 800 à 1200 combattants de l’Armée du Mahdi auraient reçu une instruction militaire axées sur les techniques de guérilla, le maniement des explosifs, l’utilisation des armes légères, la reconnaissance d’objectifs et l’espionnage. Par ailleurs, plus de 80 millions de dollars auraient été remis à Al-Sadr par le régime des ayatollahs, et cet argent aurait notamment servi à créer le réseau social que le jeune imam a transformé en outil de recrutement et d’endoctrinement avant tout dans le quartier de Sadr City, à la manière d’ailleurs du Hezbollah ou du Hamas. La formation d’équipes d’assassins aurait d’ailleurs été l’une des premières actions d’Al-Sadr, ce qui lui fournit un moyen de pression considérable sur les leaders politiques et religieux irakiens.

Mais Al Sharq Al Awsat va plus loin encore dans ses révélations. Citant un transfuge iranien qui était l’un des principaux responsables des actions de l’Iran dans le nouvel Irak, le quotidien a affirmé le 6 avril que Téhéran dépenserait près de 70 millions de dollars par mois pour ses activités subversives en Irak. Des agents des services secrets iraniens auraient été infiltrés par centaines et mèneraient plusieurs types d’actions, dont une campagne visant à décrédibiliser les dignitaires chiites opposés aux visées fondamentalistes. De plus, ces agents auraient loués plus de 2700 appartements et chambres à Karbala et à Nadjaf pour leurs activités, ou encore fourni sur leurs effectifs quelques 300 journalistes et techniciens travaillant actuellement dans les médias en Irak. Ils auraient même essayé de provoquer un soulèvement des Turkmènes chiites au nord contre les Kurdes.

Ces révélations sont certes difficiles à évaluer, mais les témoignages de journalistes présents ces jours dans les bâtiments de la milice d’Al-Sadr ont fait état de telles quantités d’argent liquide que le soutien d’une puissance étrangère ne peut plus faire de doute. Toutefois, l’Iran emploie également le Hezbollah pour ce faire, et ce n’est pas un hasard si ce groupe terroriste également appuyé par la Syrie diffuse sur son réseau télévisé Al-Manar les différentes proclamations d’Al-Sadr. Il est bien clair que l’Iran des ayatollahs subit aujourd’hui un étranglement stratégique, avec le projet américain visant à constituer deux démocraties islamiques dans son voisinage immédiat, en Afghanistan et en Irak, et que faire dérailler ce processus est pour Téhéran une affaire vitale.

Mais les islamistes sunnites ne sont pas moins atterrés par cette perspective impie, et voir Bagdad devenir le centre d’une démocratie prospère scellerait la vanité de leur idéologie. C’est pourquoi les combats à Falloujah ou Ramadi, dans l’ouest irakien, ont vu l’intervention de combattants étrangers. Durant les 4 premiers jours de cette semaine, les forces de la coalition ont ainsi intercepté plus de 100 combattants arabes tentant de franchir la frontière syrienne pour rejoindre la guérilla sunnite ; à Falloujah même et dans les environs, les Marines ont annoncé avoir capturé au moins 30 Syriens en armes. De manière tout à fait ouverte, les islamistes annoncent leur unité dans la lutte contre la présence militaire américaine, sans distinction religieuse ou nationale ; face à l’union du Hamas, du Hezbollah et de l’Armée du Mahdi, les propos anti-chiites des représentants d’Al-Qaïda semblent isolés.

Pour les Etats-Unis et la coalition qu’ils commandent, la situation apparaît délicate. Sur le plan militaire, l’offensive des sadristes est survenue à un instant relativement favorable, puisque par le jeu des rotations les Américains ont actuellement 134'000 soldats en Irak contre 120'000 au début de l’année ; l’efficacité démontrée par leurs formations en milieu urbain leur permet de gérer la situation et de pallier l’insuffisance de leurs alliés les moins coriaces, comme les Ukrainiens à Kut. Si cette tentative de coup d’État avait eu lieu 2 mois plus tard, la liberté d’action du groupe de forces multinational interarmées 7 aurait été encore plus réduite et l’envoi de renforts aurait probablement été nécessaire, avec tout ce que cela implique en termes d’impréparation et de confusion. A l’heure actuelle, la principale préoccupation du général Ricardo Sanchez, commandant de la CJTF-7, doit probablement être la maîtrise de la violence armée exercée par ses propres troupes.

A plus longue échéance, l’engagement déterminé de l’Iran et de la Syrie constitue cependant une menace pour toute l’entreprise américaine. La longueur des frontières communes – 1458 kilomètres avec l’Iran et 605 km avec la Syrie – permet à ces deux pays de constituer les sanctuaires nécessaires à l’établissement et à la survie d’une guérilla islamiste d’obédience sunnite ou chiite ; une telle situation donnerait d’ailleurs l’occasion au régime alaouite et aux ayatollahs de détourner en partie la tension intérieure découlant des frustrations d’une jeunesse désoeuvrée et déçue. Face à un tel adversaire, qui trouverait nécessairement des appuis en Irak, la coalition serait durablement en difficulté. Réduire les poches de résistance en ville entraîne certes l’éradication de nombreuses cellules, mais les effets sur la population civile provoquent des tensions considérables. La seule solution sur sol irakien ne peut être que politique.

C’est pourquoi la transmission du pouvoir au Gouvernement irakien provisoire, toujours fixée au 30 juin prochain, revêt une telle importance. Quelle que soit l’impression propagée par les médias, l’Irak vit aujourd’hui de manière relativement normale : l’électricité et l’eau potable sont presque partout disponibles, la plupart des employés de l’État se rendent à leur travail, les commerces sont ouverts dans l’essentiel du pays, la capitale connaît toujours des embouteillages monstres, les activités de reconstruction se poursuivent, et les forces de sécurité irakiennes ont repris leur poste là où les sadristes ont été délogés. La multiplication des kidnappings de citoyens étrangers et les pressions afférentes sur leurs Gouvernements ne sont qu’une pratique terroriste désespérée. La crainte du chaos n’existe que par le doute qui étreint de nombreux Irakiens quant à la détermination de la coalition à rester et à fournir au futur État les outils nécessaires à son existence et à sa stabilité.

De fait, le processus de démocratisation ne sera pas mis en péril par les activités de la guérilla sunnite et des chiites radicaux aussi longtemps que la coalition poursuivra son action sans répit ni excès. Mais il reste encore très fragile : si les investissements étrangers augmentent, au point que même les déçus de l’occupation sont obligés de reconnaître l’amélioration de leurs conditions de vie, la dégradation brutale des conditions de sécurité entrave l’activité des entreprises présentes en Irak ; si les forces de sécurité irakiennes se renforcent, entre 20% à 25% de leurs membres ont – au moins provisoirement – déserté ces derniers jours, principalement en raison des pressions et des menaces exercées sur eux. Bien que les principales tendances restent en faveur de la coalition et de ceux qui croient en ses promesses, le doute demeure.

L’Irak est cependant devenu le point central de la lutte entre le fondamentalisme islamique et la démocratie à l’occidentale, et les Etats-Unis ne peuvent plus ignorer l’activisme subversif des pays voisins. Les enjeux sont trop importants pour imaginer sérieusement un retrait, comme les tenants du spectre vietnamien le revendiquent, ou même un transfert de responsabilité à l’ONU, dont les capacités limitées en matière de gestion des conflits armés sont crûment soulignées par la commémoration du génocide rwandais perpétré voici 10 ans. L’analyste français Laurent Murawiec soulignait dans un entretien qu’il nous a accordé voici 1 mois qu’il était temps de « trancher le nœud gordien » et de faire tomber les autres dominos du Proche-Orient. Peut-être le coup d’État manqué de Moqtada Al-Sadr servira-t-il de signal d’alarme à Washington, à défaut d’avoir été compris dans la plupart des chancelleries européennes.



Maj EMG Ludovic Monnerat  








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