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Incertitudes sur les événements du sud de la Thaïlande, entre islamistes, séparatistes et criminels

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13 juin 2004

Soldats thaïs au PataniD

epuis plusieurs mois, des heurts violents et des attaques délibérées menacent d’enflammer le sud thaïlandais. La collusion probable entre réseaux islamistes, mouvances séparatistes et organisations criminelles forment une situation des plus complexes à appréhender.

Le samedi 4 janvier 2004, des bandes armées non identifiées attaquaient 93 endroits du sud de la Thaïlande – à prédominance musulmane –, faisant près de 40 morts (musulmans et bouddhistes). Les cibles (18 écoles détruites ainsi que des installations de la Police et de l’armée Thaï attaquées et volées) font penser que les auteurs sont issus des mouvements séparatistes musulmans connus (PULO, PULO Mai, BRN ; organisations ayant toutes leur base arrière respective en Malaisie), alors que depuis près de deux ans ces mouvements étaient en perte de vitesse, avec seulement 70 militants actifs recensés.


«... Cette alliance entre les réseaux de la drogue et les mouvements séparatistes musulmans du sud de la Thaïlande est loin d'être incongrue. Baignant dans l'illégalité, ces deux mouvances ne pouvaient que se rencontrer. »


Dans l’éventail de ces attaques du mois de janvier, une a plus fortement focalisée l’attention des observateurs et des thaïlandais en général : celle qui a eu lieu sur une caserne dépôt de l’armée royale thaï. Quatre soldats thaïlandais y étaient tués ainsi qu’un moine bouddhiste (égorgé devant témoins). Cette attaque a permis aux assaillants de dérober un grand nombre d’armes (300 fusils d’assaut, 40 pistolets, 2 M-60) ainsi que des munitions.



Nombreuses questions sans réponse

La police thaïlandaise suit particulièrement un mouvement, le Gerakan Mujahideen Islam Pattani (GMIP, le Mouvement des Mujahiddines de la Pattani Islamique), et ses chefs Jehbumae Buteh et Nai Cigu Maah Gootay. Une récompense d’un million de bath est d’ailleurs promise à toute personne qui donnerait aux autorités des informations conduisant à leur arrestation. Ce mouvement est un nouveau venu dans l’ensemble des groupes armés islamistes séparatistes opérant dans cette zone depuis plusieurs dizaines d’années. Peu d’informations circulent au sujet de ce groupe, dont on ne connaît clairement ni les effectifs, ni les racines idéologiques et financières véritables, ni les liens qu’il pourrait avoir avec d’autres mouvements transnationaux comme la Jemaah Islamiyah ou encore Al-Qaïda.

De nombreuses questions restent posées suite à ces attaques du mois de janvier 2004 menées dans près de 20 districts des provinces de Yala, Narathiwat et de Patani (proches de la frontière avec la Malaisie), sous loi martiale depuis le 6 janvier. Si les soupçons se sont tournés immédiatement vers les mouvements séparatistes musulmans locaux, d’autres hypothèses apparaissent pourtant, ne disculpant pas pour autant les premiers mais développant autrement les motifs réels des attaques.

Le 11 février, le petit poste de police d’Ayer Weng, non loin de la frontière avec la Malaisie, était attaqué. Le 23 mars, une bombe explosait à Narathiwat non loin de l’endroit où se réunissaient les Ministres thaïlandais de l’Intérieur et de la Défense et des représentants de l’administration locale. Le 27 mars, une bombe posée sur une motocyclette explosait, toujours à Narathiwat, détruisant un club nocturne assez volage, blessant 30 personnes. Le 30 mars, des hommes armés volaient de la dynamite, des détonateurs ainsi que 1,4 tonnes de nitrate d’ammonium dans une carrière à Yala. Le 14 avril, des cheminots de la province de Patani découvraient une tentative visant à faire dérailler un train.

Mais c’est le 28 avril dernier que survenait un fait surprenant dans ses modalités. Ce jour là, quinze postes de police, des postes de défense des villages, des bureaux de districts étaient simultanément attaqués par des hordes de séparatistes en furie, brandissant des machettes et pour certains des armes à feu. Ces attaques amenèrent une riposte immédiate de l’armée thaïe et l’on dénombrait au final 113 morts dont 108 civils. Une partie des assaillants s’étant réfugiés non loin de Patani, dans la mosquée de Krue-Sae, les soldats thaïlandais, après plusieurs heures de combats, anéantissaient les 32 insurgés fanatiques, s’attirant les foudres des observateurs patentés – tant locaux qu’internationaux – pour la « brutalité de leur attaque » ; la mosquée fut en effet partiellement détruite. Quant aux victimes, elles étaient jeunes, moins de 25 ans pour la plupart, curieusement toutes habillées de noir.

Le 21 février, le Premier Ministre Thaï, Taksin Shinawatra, formulait des soupçons à l’encontre de membres suspects de son gouvernement. « Des représentants du gouvernement sont impliqués dans cette affaire [du mois de janvier], mais leur nombre, leur identité et le niveau auquel ils agissent n’ont pas encore été découverts », déclarait-t-il à la presse. L’armée thaïe croit, quant à elle, que les mouvements séparatistes musulmans sont derrière ces attaques, bénéficiant du soutien actif du KMM malaisien, un mouvement islamiste ayant des liens avec la Jemaah Islamiyah (JI). Des bulletins de renseignements avançaient que près de cent combattants islamistes s’étaient d’ailleurs déplacés vers la frontière avec la Malaisie avec l’assistance du KMM.

En dehors de ces membres du gouvernement que fustige le Premier Ministre thaïlandais, il est également probable que des militaires thaïs eux-mêmes puissent aussi être impliqués à un certain niveau dans cette affaire ; une situation trouble dans cette région ramenant l’armée au premier plan, tant politiquement que budgétairement. D’un autre côté, le percement du Canal de Kra situé justement dans ces provinces du sud de la Thaïlande à majorité musulmane n’est peut-être pas totalement étranger à cette situation d’insurrection globale.

Ainsi, d’autres acteurs, comme par exemple des personnes ayant des intérêts financiers menacés par cette construction, pourraient être impliqués. En effet, si le canal se faisait, de très nombreuses sociétés basées principalement en Malaisie voisine mais aussi à Singapour, se délocaliseraient pour s’installer autour du canal, en Thaïlande. Il est aisé de comprendre de la sorte, qu’une situation instable dans les alentours du futur Canal, profiterait à ceux ayant des intérêts menacés. Il est a noter que le gouvernement thaïlandais a décidé de construire, à l’instar d’Israël, un mur de sécurité le long de sa frontière avec la Malaisie, afin de couper les mouvements rebelles musulmans de leurs bases de arrière. Cette décision n’a pas soulevé d’objection de la part de Kuala Lumpur.

Ce qui expliquerait également le regain de violences dans le sud de la Thaïlande depuis quelques mois – et c’est de loin l’hypothèse la plus probante et la plus inquiétante – c’est une convergence d’intérêts conduisant les mouvements musulmans séparatistes thaïs d’une part et les puissants réseaux locaux du syndicat de la drogue d’autre part à s’allier et à mener des actions communes, effaçant la ligne de démarcation entre les bandes criminelles liées au trafic de drogue et les séparatistes terroristes. Depuis la « guerre contre la drogue » déclarée par le Premier Ministre thaï au début de l’année, des relations se sont en effet forgées entre les gangs criminels, les militants islamistes et les séparatistes. Ces mouvements ont en effet un ennemi commun : le gouvernement central.

Le Premier Ministre Taksin déclarait début mai, au sujet des assaillants du 28 avril, que « de nombreuses veuves ne savaient pas ce que leurs maris et membres de leurs familles faisaient, et qu’elles avaient appris, seulement après la mort de leurs proches, qu’on leur avait fait prêter serment et boire une eau spéciale avant de partir à l’attaque ». Le chef de l’armée de terre, Chaisit Shinawatra, estimait pour sa part que les « extrémistes » enrôlaient des jeunes « en leur faisant penser que se baigner dans une eau sacrée les rend immortels » ; pour ce cousin du Premier Ministre thaïlandais, les écoles coraniques (ponoh) enseignant la doctrine wahhabite font subir un véritable « lavage de cerveaux » à ces jeunes. Tous ces éléments expliqueraient la folie meurtrières et l’inconscience des assaillants se ruant, machette à la main, face à des soldats armées de fusils d’assaut et de fusils mitrailleurs.

Cette alliance entre les réseaux de la drogue et les mouvements séparatistes musulmans du sud de la Thaïlande est loin d’être incongrue. Baignant dans l’illégalité, ces deux mouvances ne pouvaient que se rencontrer car elles partagent une même culture criminelle, et la « zone grise » du sud de la Thaïlande représente le terrain parfait pour mener le genre d’actions meurtrières observées depuis le début de l’année 2004. Cette partie de la Thaïlande qui annonce la péninsule malaise a en effet deux larges bandes côtières, l’une ouverte sur l’Océan indien à l’Ouest et l’autre sur le Golf de Siam à l’Est ; c’est le terrain idéal pour l’établissement de nouvelles routes dans le trafic en tout genre, comme le souligne l’Amiral Amornchot Sujirat, Chef d’Etat-Major de la 3ème Région Maritime thaïe.

Par ailleurs, le 19 avril, sans grande attention des commentateurs internationaux, les ambassades du Pakistan et de Corée du Sud à Bangkok, tout comme les bureaux de Korean Air, de Philippines Airlines et de Kuwait Airways de la capitale thaïlandaise recevaient des lettres de menaces d’attentats émanant d’un groupe mystérieux nommé « Organisation d’outre-mer Jaune-Rouge » (Yellow-Red Overseas Organization) ; ces menaces d’attentats au gaz sarin sont dirigées « à l’encontre de toutes les composantes de l’alliance américaine opérant en Irak ». Ces lettres en question, rédigées en anglais, transmises par courrier banal de l’intérieur même du territoire thaïlandais, étaient signées par un certain Mohammad M. Salah ou Sara [illisible]. En dehors des récipiendaires plusieurs pays sont visés comme l’Australie, le Japon, les Philippines, Singapour et la Thaïlande. Alors que les mesures de sécurité des pays cibles ont été renforcées, aucune des autorités intéressées ne sait vraiment à quoi s’en tenir au sujet de cette « Organisation d’outre-mer Jaune-Rouge ».

On le voit, la situation est plus que trouble dans cette région du globe, ce qui s’y passe impliquant plusieurs acteurs, tant locaux qu’étrangers, islamistes que non musulmans, officiels et particuliers, différents acteurs ayant chacun leurs intérêts propres dans la ou les partie(s) ; ainsi, porter une accusation sur un seul des protagonistes relèverait d’une erreur grossière tant dans l’analyse du phénomène que dans la détermination des actions futures qui seront menées dans cette région.



Philippe Raggi, membre de l'Académie Internationale de Géopolitique et du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)  







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