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Plus de huit millions de gifles
sont sorties des urnes irakiennes

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13 février 2005

Elections en IrakL

es élections irakiennes ont révélé au monde la réalité d’un pays globalement attaché à la liberté et confiant en son avenir. Elles ont ainsi démenti l’image apocalyptique que les médias occidentaux en donnent, et confronté ceux-ci à une dissonance cognitive de grande ampleur. Analyse.

La plupart des chancelleries et des rédactions européennes ont été surprises par le déroulement des élections irakiennes, et notamment par les 8,5 millions de votes déposés en un jour bien moins sanglant que prévu. Quelques éditorialistes, confrontés au démenti de leurs prédictions, ont d’ailleurs refusé de croire à la ferveur démocratique des Irakiens, alors que d’autres ignorent carrément le sujet depuis 2 semaines. Pourtant, la participation de presque 59% annoncée aujourd’hui est globalement conforme aux prévisions et aux sondages rendus publics la semaine précédant le scrutin.


«... Les Irakiens ont enfin eu leur mot à dire, et les huit millions de gifles qui ont frappé les opposants à leur libération augurent peut-être le mot de la fin, c'est-à-dire le jugement de l'Histoire. »


La vertu principale de celui-ci est certainement d'avoir imposé – au moins ponctuellement – le message de la majorité silencieuse et supplanté celui des terroristes, d'avoir révélé au monde ces voix jusqu'ici ignorées par les médias et que seules les enquêtes d'opinion – et dans une moindre mesure les weblogs – permettaient d'entendre. Les images des Irakiens brandissant fièrement leur doigt trempé dans l'encre consacrent ainsi un mouvement qui aura longtemps échappé à l'attention des médias.



La lutte des perceptions continue

En fait, les commentateurs européens sont responsables de leur surprise, c’est-à-dire de leur inaptitude à comprendre la population irakienne : voilà plus de 2 ans qu’ils s’auto-intoxiquent avec des idées aussi erronées que la « résistance acharnée » de la population irakienne, le « chaos généralisé » qui règnerait ou même le « regret majoritaire » pour le régime de Saddam Hussein. Il existe ainsi un monde de différence entre l’Irak virtuel des médias européens, que résume l’énumération d’incidents violents privée de tout contexte, et l’Irak réel de la population irakienne. On peine d’ailleurs à comprendre comment il est possible de décrire comme une terre ravagée, un désert économique ou même un enfer quotidien un pays où, l’an passé, l’activité économique a augmenté de 52% et où 20'000 nouvelles entreprises ont été créées.

Ce retour au premier plan de l’Irak réel confronte les médias à une dissonance cognitive de grande ampleur. Pour la résoudre sans disqualifier 20 mois de couverture catastrophiste, la plupart ont tenté de décrire une rupture compatible avec leurs assertions passées. Ce mécanisme a déjà été utilisé lors de l’invasion de l’Irak, comme l’a remarquablement montré Alain Hertoghe dans son livre La guerre à outrances : pour expliquer à leur public comment 3 semaines d’« échecs » américains successifs se sont du jour au lendemain transformés en un succès retentissant, les médias ont été contraints d’inventer des explications déconnectées de la réalité, comme la « brutalité inouïe » et le « déluge de feu » de l’armada US. On a même vu un commentateur romand assez culotté pour affirmer que l’Irak en 3 semaines avait reçu plus de bombes que le Vietnam en 10 ans !

Le même mécanisme d’auto-justification est à l’œuvre aujourd’hui. La première perception consiste à louer l’héroïsme prêté à tous les Irakiens pour avoir osé se rendre en masse aux urnes malgré les menaces des terroristes. Autrement dit, le scrutin aurait dû être un échec caractérisé, mais le courage miraculeux des Irakiens – et non les efforts des Américains – en a décidé autrement. Cette image est entièrement fallacieuse : 1% environ des quelque 5500 bureaux de vote ont été attaqués le jour des élections, presque tous dans des grandes villes à forte population sunnite. Et comme la plupart des 200 à 300 attaques armées commises le 30 janvier en Irak se sont concentrées dans les 4 provinces du triangle sunnite, la majorité des Irakiens n’étaient pas menacés en allant aux urnes. Seuls ceux qui ont voté à Bagdad, à Mossoul et bien sûr à Falloujah ont fait preuve d’un courage héroïque.

La deuxième perception consiste à dire que si les Kurdes et les chiites ont voté en masse, les sunnites ont massivement boycotté ces élections, et que celles-ci doivent donc être comprises comme une revanche des opprimés de Saddam Hussein. Mais cette notion de revanche – et donc de motivation haineuse – n’est pas crédible : d’une part, c’est bien la joie de participer à une élection qui animait les Irakiens, dans un pays qui de toute manière pratique la vengeance par les armes ; d’autre part, les quartiers mixtes de Bagdad et Mossoul ont connu une participation élevée, tout comme plusieurs petites villes du triangle sunnite convenablement protégées. Il apparaît aujourd’hui certain que les forces de sécurité irakiennes ont fait quelques effort principaux, en particulier sur la capitale, et que la fluctuation de la sécurité explique largement les différences de participation entre sunnites.

La troisième perception poursuit sur la lignée de la précédente, en affirmant que ces élections ne sont que le préambule d’une guerre civile inévitable entre les différentes communautés. Là encore, cette interprétation destinée à expliquer un ton catastrophiste ne tient pas compte de la réalité : non seulement la communauté chiite est largement divisée et bien incapable de constituer un bloc, à la différence par exemple des Kurdes, mais les principales listes chiites comportaient un nombre non négligeable de sunnites, qui vont garantir la représentation de ceux-ci dans la future assemblée constituante. Le système électoral négocié par les Etats-Unis vise même explicitement à réduire les risques d’affrontements intercommunautaires et à rendre nécessaires des négociations, au risque de fragiliser le pouvoir par un trop grand émiettement des partis. Les divisions confessionnelles et ethniques devraient être compensées par l’union nationaliste.

La quatrième perception, toujours en vue de faire accroire une rupture inexistante, consiste à dire que les Irakiens retrouveraient l'espoir grâce aux élections. Une fois de plus, il s'agit là d'une distorsion des faits : les enquêtes d'opinion réalisées en Irak ces 18 derniers mois ont montré au contraire un optimisme constant de la population ; les sondages menés chaque mois par l’International Republican Institute avec près de 2000 Irakiens dans tout le pays montrent depuis le printemps 2004 qu’environ 6 sondés sur 10 pensent avoir vie meilleure dans une année, et 1 sondé sur 10 une vie moins bonne. D’autres enquêtes menées par des organisations différentes ont fourni des résultats similaires. En réalité, les Irakiens se sont remis à espérer le jour où le régime de Saddam Hussein est tombé.

Comment expliquer ces perceptions aussi éloignées de l’Irak réel dans les médias ? La vraie dimension sémantique de ces élections, au niveau international, réside dans leur effet sur la justification ou non de l’opération militaire lancée en mars 2003. La participation élevée à ce scrutin menace en effet l’argumentaire de ceux qui se sont opposés à l’opération Iraqi Freedom, à ce changement de régime promis par les Américains et qui maintenant prend forme, et il est difficile de ne pas interpréter le noircissement systématique de la situation en Irak comme une orientation de l’opinion publique en faveur de cette opposition. Cependant, si les arguments avancés pour justifier cette opération ont été largement discrédités, les arguments avancés pour s’y opposer l’ont été bien plus encore, et ces élections constituent un démenti ravageur à ceux qui estimaient la démocratie impropre à l’Irak, ou l’Irak impropre à la démocratie.

Dans la lutte de perceptions à laquelle se livrent chancelleries et rédactions depuis presque 3 ans sur la question irakienne, les Irakiens ont enfin eu leur mot à dire. Et les huit millions de gifles qui ont frappé les opposants à leur libération augurent peut-être le mot de la fin, c’est-à-dire le jugement de l’Histoire.



Lt col EMG Ludovic Monnerat  










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