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Est-ce que la Suisse va déployer ses soldats pour protéger son ambassade en Irak ?

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31 mai 2004

Ambassade suisse au ChiliL

a polémique liée à l’engagement de mercenaires sud-africains pour protéger la mission suisse à Bagdad a contraint le Département fédéral des affaires étrangères à reconsidérer sa position. Est-ce que l’armée devra placer le bâtiment sous la protection de la sécurité militaire ?

L’affaire a été révélée le 30 avril dernier dans Le Temps par Richard Werly : depuis l’été dernier, les 4 diplomates suisses en poste à Bagdad – le chef de mission Martin Aeschbacher, le consul Beat Jenal et deux fonctionnaires de la Direction pour le développement et la coopération – sont protégés en permanence par une équipe de 6 militaires privés sud-africains, en plus d’une dizaine de gardes irakiens. Assurant la protection rapprochée, les Sud-Africains conduisent les 3 voitures blindées de la mission et ont toute autorité pour restreindre les sorties de leurs clients.


«... Les contempteurs des militaires et les éternels radoteurs pacifistes ont en fait oublié que l'une des fonctions essentielles des forces armées reste le monopole de la violence organisée au profit de l'État et de ses citoyens. »


Les journalistes apercevant ce dispositif ont été priés de ne pas le rendre public pour des raisons de sécurité, mais l’autocensure a perdu sa justification lorsqu’il est apparu que la société sud-africaine retenue pour 2004, Meteoric Tactical Solutions, faisait l’objet d’une enquête et que 2 de ses membres principaux étaient emprisonnés pour tentative de coup d’État. De plus, le contrat de 1,6 millions discrètement accepté en décembre dernier par le Conseil fédéral comprenait un salaire mensuel de 14'000 francs par mercenaire, sans même que le DFAE n’envisage de faire appel à l’armée pour assurer cette mission.



Un affaiblissement de l’État

Durant tout le mois de mai, il a fallu une pression médiatique croissante – exercée notamment par Le Matin – pour que le DFAE renonce à nier le problème politique posé par ce contrat douteux, et sa cheffe devra s’expliquer devant le Parlement ces prochains jours sur ses choix en la matière. Pour sa part, le Département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des sports a annoncé qu’il évaluait l’envoi de soldats suisses pour protéger la mission helvétique à Bagdad et ainsi répondre à la demande tardive du DFAE. Quelques jours seront certainement nécessaires pour mener une appréciation complète de la situation, mais la sensibilité politique d’une telle mission dépasse les analyses purement tactiques.

La protection de nos ambassades à l’étranger fait partie des compétences de l’armée : à partir de 1998, l’ancien Corps des Garde-fortifications – aujourd’hui redimensionné dans le cadre de la sécurité militaire – a rempli une mission dangereuse à Alger, en effectuant tous les 6 mois des rotations entre ses professionnels spécialisés dans ce type de tâches ; si l’on tient en outre compte de la protection ponctuelle de l’ambassade suisse à Moscou, l’armée dispose à la fois du personnel, de l’équipement et de l’expérience nécessaire pour contribuer à la protection de la mission suisse en Irak – ou au moins pour être considérée dans ce but. Que l’on n’ait même pas été envisagé d’y recourir apparaît donc significatif.

Il est naturellement possible d’imaginer que le DFAE, où certaines colorations partisanes diffèrent sensiblement de ce que l’on peut trouver au DDPS, ait renoncé à faire appel aux militaires pour ne pas leur confier une mission à laquelle ils se sont préparés depuis des années, et ainsi justifier leurs vues toujours plus consensuelles en matière de risques et de menaces. Toutefois, le fait que le Conseil fédéral ait approuvé la solution hasardeuse consistant à faire appel à des soldats de fortune issus d’une société sud-africaine marginale, et dont le nom à lui seul n’inspire aucune confiance, indique une autre explication : le Gouvernement a très probablement tenté d’éviter le débat politique lié à l’envoi de militaires suisses en Irak.

Contrairement à certaines affirmations dilatoires émises voici quelques semaines par des porte-parole fédéraux bien embarrassés, il n’existe aucun obstacle légal à l’envoi de soldats professionnels pour la protection des représentations diplomatiques suisses à l’étranger, et une telle pratique est d’ailleurs la règle par de nombreuses nations. Depuis une année, le dilemme est purement politique ; entre les besoins sécuritaires concrets et l’opposition à tout déploiement en Irak, le Gouvernement a choisi une solution médiane répondant aux uns et minimisant l’autre, du moins à court terme : le recours à des militaires privés. Or il se trouve que c’est précisément ce type de sous-traitance qui, aujourd’hui, est désormais débattu sur la place publique.

Sud-Africains, Britanniques, Américains ou Fidjiens, les membres des sociétés militaires privées ont tous des avantages comparables : ils sont rapidement disponibles, affichent des compétences solides, offrent une large gamme d’options tactiques, possèdent souvent leur propre équipement, et surtout réduisent drastiquement le coût politique en cas de perte ou de bavure. Naturellement, ils coûtent cher, et le salaire mensuel de 14'000 francs versé sans sourciller par le DFAE se situe plutôt au milieu de l’échelle ; mais leur paiement durant la seule mission, sans compter par exemple les frais d’instruction, ont font en apparence une solution rentable sur le plan financier. A condition que leur instruction ait été assurée par une autre armée, naturellement.

Cependant, c’est bien l’absence de contrôle politique – et donc démocratique – sur ces mercenaires d’un nouveau genre qui relève aujourd’hui de l’évidence. Le démantèlement des armées occidentales durant les années 90 a mis sur le marché du personnel et des compétences qui ont rendu possible une privatisation croissante des opérations militaires, et ont abouti à un affaiblissement des États. Le recours aux sociétés militaires privées est ainsi la règle depuis le milieu des années 90, lorsque les conflits dans les Balkans ou en Afrique exigeaient des Gouvernements une réponse déterminée sans que les enjeux perçus au sein du public ne justifient l’envoi massif de troupes. Il faudra donc attendre le cas de l’Irak pour que le problème surgisse au grand jour.

La profusion de militaires privés sur le territoire irakien – entre 15'000 et 20'000 selon certaines estimations – et leur rapprochement croissant face aux risques communs ne s’expliquent pas seulement par l’incapacité de l’US Army, qui a perdu 8 divisions d’active sur 18 en une décennie, à assurer une sécurité suffisante dans le pays. Ils sont également dus au fait que les réductions d’effectifs et le climat souvent anti-militaire au sein des nations occidentales ont libéré de leurs obligations contractuelles et morales des professionnels aguerris, et permis à de jeunes entreprises de s’engouffrer dans un créneau prometteur. Au point de proposer aux États les services de soldats que leurs armées ont pourtant instruit et encadré des années durant.

Les contempteurs des militaires et les éternels radoteurs pacifistes ont en fait oublié que l’une des fonctions essentielles des forces armées reste le monopole de la violence organisée au profit de l’État et de ses citoyens. La contradiction entre l’obsession idéologique et l’intérêt politique a par exemple été brillamment illustrée cette semaine par le parti socialiste, qui demande l’envoi de militaires suisses en Irak pour éviter le recours à des mercenaires sud-africains douteux, et qui simultanément exige un moratoire sur toutes les dépenses d’armement – y compris celles nécessaires à l’accomplissement de telles missions à l’étranger. Si l’on mentionne encore le refus – au moins provisoire – des partis bourgeois concernant ce déploiement, on mesure pleinement la confusion de la classe politique suisse quant au rôle de l’État moderne dans un monde en pleine transformation.

Dans la réalité, la réforme Armée XXI a donné aux militaires suisses les moyens de remplir une large gamme de missions au-delà des frontières. L’armée dispose notamment de deux composantes professionnelles susceptibles d’être engagées au sol dans un contexte risqué : la sécurité militaire, qui peut dès aujourd’hui remplir des missions de police et de protection rapprochée, et le détachement de reconnaissance de l’armée, qui à partir de 2007 pourra remplir des missions de reconnaissance, d’exploration, de protection distante et de recherche et sauvetage. Avec la décision du Conseil fédéral de participer à la force multinationale européenne en Bosnie et la demande d’achat de 2 petits avions de transport, il apparaît clairement que les missions à l’étranger vont devenir une composante toujours plus importante des activités militaires.

Est-ce que la Suisse va envoyer des soldats suisses à Bagdad ? Quelles que soient les turbulences liées au contexte particulier de l’Irak, et notamment des rôles respectifs des Etats-Unis et des Nations Unies, la participation accrue du pays aux efforts de sécurité mondiaux et à la protection de ses propres intérêts passera immanquablement par l’envoi plus fréquent et plus risqué de militaires professionnels, de carrière ou sous contrat. La vraie question consiste à savoir si l’armée aura demain le budget nécessaire à l’accomplissement de toutes ses missions – la promotion de la paix, la sauvegarde des conditions d’existence et la défense du territoire national.



Maj EMG Ludovic Monnerat  








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