L'essentiel de l'actualité militaire


Exposé guerre moderne


L'essentiel des livres







L'essentiel des liens militaires


Documents militaires


Toutes les dates des ER


Cliquez ici pour soutenir CheckPoint!


Toutes les unités actuellement en action


Le Swiss Army Theme pour Windows 95


Webring Armée suisse

Analyse en temps réel des opérations militaires:
l'exemple de l'Irak (2)

27 juillet 2003


Soldats britanniques à Az Zubayr, 27.3.03L

es nombreux experts civils et militaires présents dans les médias durant l'offensive coalisée en Irak se sont pour la plupart totalement trompés dans leurs prédictions et analyses. Est-ce que l'appréciation d'une opération militaire en cours sur la base de sources ouvertes est chose impossible? Deuxième partie d'une autocritique.

Le jeudi 27 mars, la tempête de sable s'est calmée en Irak, et les Marines ont poursuivi leur mouvement entre le Tigre et l'Euphrate, avec deux colonnes se dirigeant respectivement vers Diwaniyah et Al Kut sans rencontrer une grande résistance. La 3e DI continuait de se battre aux alentours de Karbala et Najaf, ayant reçu le renfort de la 101e division aéromobile qui avait également pris un aérodrome militaire à Tallil, au sud de Nasiriyah, lequel sera rapidement remis en état pour être employé par des avions d'attaque au sol A-10. En parallèle, la puissance aérienne alliée se faisait sentir toujours plus durement sur les divisions de la Garde républicaine, qui seules séparaient les troupes alliées de la capitale.


«... C'est à cet instant que les premiers commentateurs ont affirmé que l'offensive alliée s'était enlisée dans le désert irakien. »


L'étirement des lignes de communications faisait que les réserves en ravitaillement atteignaient en moyenne 3 jours pour les formations lourdes, et le harcèlement des irréguliers irakiens ralentissait l'acheminement des biens de première nécessité, alors que la météo avait interrompu la majorité des transports par hélicoptère. C'est à cet instant que les premiers commentateurs ont affirmé que l'offensive alliée s'était enlisée dans le désert irakien, une conclusion appuyée par une manipulation du New York Times, qui avait fait déclarer au général Wallace "l'ennemi que nous combattons est différent de celui contre lequel nous nous sommes préparés", en admettant quelques jours plus tard que le commandant du Ve Corps avait en fait dit "un peu différent".



La fameuse "pause opérationnelle"

Une semaine après le déclenchement de l'offensive terrestre, ma chronique quotidienne dans Le Temps, parue le 28 mars, établissait un bilan contrasté : un grand succès pour l'objectif purement militaire consistait à foncer aussi vite que possible sur Bagdad, et un grand échec pour ce qui était de s'attirer les grâces de la population, encore privée d'aide humanitaire et sans qu'aucune ville majeure n'ait été libérée. Plusieurs éléments d'analyse généraux peuvent en être extraits.

Affirmation

Evaluation

"Pour ce qui est du premier [objectif], on soulignera l'avancée assez stupéfiante sur Bagdad. La pause de presque trois jours imposée par la tempête de sable était quasiment bienvenue, car elle a permis aux troupes de se reposer. Par ailleurs, les pertes américaines ont été minimes (19 morts au combat), et les contre-attaques irakiennes ont toutes été détruites de manière écrasante."

Cette avancée réalisée essentiellement en 4 jours représente un peu plus de 400 km, et elle témoigne à la fois de la maîtrise opérationnelle des formations lourdes américaines – les rotations entre brigades d'une division comptant plus de 3000 véhicules ne sont pas une mince affaire – et de l'inefficacité de la résistance opposée par les paramilitaires irakiens. La remarque sur la tempête de sable n'est pas fausse, mais il faut relever que dormir dans une tempête qui secoue même les véhicules blindés moyens n'est guère à la portée de ceux qui ont le sommeil léger. Vu de Suisse, il est facile de négliger ces facteurs liés à la vie quotidienne.

"Enfin, sur le plan logistique, les forces alliées ont pu créer les bases nécessaires à la poursuite des opérations. Elles ont par exemple déroulé un pipeline de 130 km depuis le Koweït et investi une grande base aérienne au sud de Nasiriyah. Sur le plan militaire, cette première semaine est donc un grand succès."

Cette analyse n'est que partiellement juste. Il est exact que l'infrastructure logistique alliée, le pipeline du Koweït, l'aérodrome de Tallil ou encore le maintien en état des routes, a été assurée de manière remarquable. En revanche, la logistique mobile a considérablement souffert de la tempête: les convois transportant pour 2 jours de ravitaillement en ont soudain mis 3 ou 4 pour atteindre les formations de tête au lieu d'un, et donc ne parvenaient pas à rétablir les réserves. Le fait que la plupart des véhicules logistiques ne soient pas équipées de radio explique également leurs difficultés.

"Le fait d'avoir tout misé sur Bagdad a privé les Américains des troupes nécessaires pour sécuriser le sud. Résultat: pour l'heure, les fidèles de Saddam Hussein continuent de régner là où les alliés ont renoncé à aller. D'où la nécessité absolue de renforts pour atteindre les deux objectifs."

Une déduction essentiellement juste: le plan initial pour l'offensive terrestre consistait bel et bien à foncer sur Bagdad en n'investissant qu'un minimum de forces au sud. C'est probablement à cet instant que l'engagement de la 101e division aéromobile et de la brigade de la 82e a été décidé, précisément pour investir les grandes villes du sud et sécuriser les lignes de communication. Toutefois, c'est davantage l'utilisation de la réserve opérative que celui de renforts qui était nécessaire (4 brigades contre 2).

"Sur le front nord, le déploiement de la 173e brigade aéroportée a notamment permis de sécuriser un aérodrome majeur où les Américains commencent à débarquer les éléments d'une division lourde, la 1re d'infanterie mécanisée."

Cette information est malheureusement fausse, et cela m'agace encore. Cela s'est produit ainsi: peu avant de renvoyer mon texte à la rédaction vers 2030, et alors que j'annonçais que les Américains allaient rééditer la manœuvre afghane au Kurdistan, CNN a annoncé le débarquement d'éléments lourds de la 1ère DI – une chose qui était attendue – et j'ai décidé de corriger mon texte en conséquence. Mais le correspondant sur place de CNN s'est trompé, a été trompé ou a trompé – tant il est vrai qu'une manœuvre de déception destinée à lier des forces irakiennes est bien possible.

"Comme un levier aérien énorme est nécessaire pour une telle action, puisque par exemple un gros avion de transport C-17 est nécessaire pour déployer un seul char de combat, il faudra probablement attendre le milieu de la semaine prochaine avant d'assister à une offensive d'envergure à partir du Nord."

En fait, les premiers éléments de la 1ère DI arriveront par air le 8 avril, et en 2 jours une compagnie renforcée – comptant notamment 5 chars de combat Abrams et 5 véhicules de combat d'infanterie Bradley – sera opérationnelle. La remarque sur le transport aérien est correcte, même s'il faut ajouter que l'US Air Force rechigne à débarquer ainsi des Abrams, car leur poids de 70 tonnes provoque une usure accélérée du train arrière du C-17. Quoiqu'il en soit, les forces américaines au Kurdistan s'appuieront sur l'aviation et les peshmergas pour grignoter les positions irakiennes, et la première attaque d'envergure sera déclenchée le 6 avril. Kirkouk tombera le 10.

 

Le vendredi 28 mars a surtout été marqué par le coup de main, mené au Kurdistan par des forces spéciales encadrant les peshmergas, d'un camp du groupe terroriste Ansar al-Islam. Les formations lourdes continuaient de se battre, autour des villes pour la 3e DI et dans Nasiriyah pour les Marines, alors que les Britanniques resserraient leur étreinte sur Bassorah, notamment en détruisant un immeuble alors qu'une réunion de cadres du parti Ba'as s'y tenait. Ma colonne dans Le Temps parue le 29 s'intéressait cependant à la stratégie irakienne, en tâchant d'évaluer son efficacité.

Affirmation

Evaluation

"Les autorités irakiennes ont choisi d'abord d'affronter leur ennemi sur tout le territoire ou presque. Une tâche qu'elles ont confiée principalement à des forces paramilitaires absolument fidèles, dont la mission est aussi, le cas échéant, de contraindre les forces régulières à se battre."

Cette analyse est exacte: les combats à Nasiriyah, le nettoyage fastidieux d'Umm Qasr à peine achevé et les raids menés par les Britanniques dans le secteur de Bassorah montraient que l'opposition ne provenait pas de l'armée régulière, et était pour moitié constitué de combattants sans uniforme. Par ailleurs, certaines formations – comme la cavalerie faisant office d'avant-garde de la 3e DI – ont avancé en menant constamment des combats, parfois épiques.

"Elles mènent ensuite des actions visant d'autres pays, par des moyens de guerre psychologique, des images frappantes de pertes par exemple, ou des tirs de missiles balistiques. Enfin, elles ont fort logiquement décidé de mener les combats décisifs en ville."

Une description également juste, même s'il faut préciser que la moitié seulement des missiles tirés sur le Koweït étaient effectivement balistiques – le reste étant constitué de missiles d'artillerie classique et de missiles antinavires. L'usage d'images frappantes a été confirmée par les explosions survenues sur deux marchés de Bagdad, les 26 ou 28 mars: l'absence de cratère profond indique qu'il s'agissait très probablement de bombes mises à feu par le régime lui-même ou de missiles sol-air retombés.

"Le fait de mener des embuscades nombreuses ralentit les forces alliées, mais sans leur infliger de perte sensible. Et, en tout état de cause, sans que cela n'empêche leur déploiement. Par ailleurs, le fait d'attendre la décision en ville laisse l'initiative à la coalition qui peut donc dicter le rythme de l'opération. Jusqu'ici, c'est principalement la logistique et la météo, et non le harcèlement adverse, qui l'ont ralentie."

Cette analyse parfaitement juste tombe aujourd'hui sous le sens, lorsque l'on lit les récits des commandants alliés de l'opération, mais il faut se souvenir qu'à cette période la majorité des experts et des commentateurs affirmaient que les Etats-Unis étaient englués dans le désert irakien. L'incapacité des défenseurs du régime de Saddam Hussein a été amplement soulignée par le fait que les forces aéromobiles étaient à ce stade essentiellement déployées à l'aide de véhicules non blindés. La "pause opérationnelle" dont a parlé le Central Command était un choix d'attendre quelques jours pour recompléter le ravitaillement des formations de pointe, sans pour autant interrompre leurs actions de combat. L'initiative était effectivement entre ses mains.

"Les Américains s'attendaient partiellement à ce genre de guerre. Leur but étant la prise de Bagdad, ils se sont ainsi préparés activement au combat en milieu urbain. En revanche, le fait de devoir affronter sur tout le territoire des forces paramilitaires souvent habillées en civil les a surpris."

Une surprise partagée par le soussigné, parce que l'intérêt d'une telle tactique était justement proche de zéro. L'analyse est juste, dans le sens où les soldats de la coalition savaient que les combats décisifs seraient menés dans les villes, et en particulier de la capitale. Le fait que la résistance le long de l'Euphrate impose plus tôt que prévu la prise des villes qui le bordent a justement constitué la grande décision prise en cours d'opération – avec l'engagement des réserves.

"Et, à ce stade, ils ne sont pas assez nombreux pour simultanément sécuriser leurs arrières et reprendre le rythme de leur poussée initiale. Raison pour laquelle Washington envoie désormais en toute hâte des renforts."

Ici, comme précédemment, l'analyse reste fausse, même si j'avais commencé à me rendre compte que les troupes seraient nécessaires pour des questions de sécurité et non pour prendre la totalité des villes. J'étais d'avis à cet instant que le volume de forces disponible permettait de reprendre l'offensive et se rapprocher de Bagdad, mais pas au même rythme; les faits m'ont largement donné tort quelques jours plus tard.

 

Le 29 mars a été une journée très importante pour les Alliés, car c'est à cet instant que leurs réserves aéromobiles sont vraiment entrées en action, alors qu'une unité expéditionnaire de Marines débarquait au Koweït en renfort. La décision était donc prise de sécuriser davantage les lignes de communication et de créer les conditions favorables à la reprise de la poussée en remplaçant les troupes jusque-là assignées à cette mission. De plus, le premier navire chargé d'aide humanitaire accostait dans le port d'Umm Qasr, en promettant ainsi un soulagement bienvenu pour la population irakienne.

Ce même samedi 29 mars, j'ai écrit une analyse pour CheckPoint des 10 premiers jours de l'offensive, qui tranchait singulièrement avec toutes les prédictions d'enlisement et d'échecs qui fleurissaient alors dans les médias. En évaluant quels points décisifs avaient été atteints par les belligérants respectifs, elle montrait très clairement que les Alliés avaient pris un avantage déterminant, mais que le conflit allait encore durer. Les éléments suivants peuvent être notés.

Affirmation

Evaluation

"En presque 10'000 sorties, les avions américains, britanniques et australiens n'ont subi aucune perte par le feu adverse [...] Cette performance remarquable s'explique largement par les préparatifs menés dans le cadre des opérations imposant les zones de non-survol, et qui ont pris presque quotidiennement pour cibles les installations de la DCA irakienne."

Une analyse pertinente, car on sait aujourd'hui que cela constituait une véritable préparation aérienne du champ de bataille, et non une simple imposition des zones de non-survol. A l'été 2002, le Central Command a ainsi déclenché une opération "Southern Focus" qui a considérablement accru les accrochages dans le ciel irakien et permis en retour des frappes plus nombreuses, qui cette fois visaient également des centres de contrôle et des installations de soutien à la DCA. Ce sont ces frappes – 349 objectifs combattus et 606 projectiles largués au sud de l'Irak entre juin 2001 et le 19 mars 2003 – qui ont détruit la DCA irakienne.

"Nombre de combattants islamistes considèrent aujourd'hui l'Irak comme une nouvelle occasion de pratiquer le jihad, [...] même si les jihadistes étrangers ont toutes les chances de subir le même sort qu'en Afghanistan, c'est-à-dire d'être décimés par la machinerie militaire américaine dans l'indifférence de la population locale."

Cette prédiction a été partout vérifiée, non seulement à Bagdad ou au moins une caméra occidentale – avec une équipe française – a permis de montrer que les derniers défenseurs du régime étaient des combattants étrangers habillés en civil, mais également dans les villes du sud, où plusieurs de ces combattants ont même été abattus par les Irakiens eux-mêmes. Cette situation tend d'ailleurs à se reproduire aujourd'hui, car les djihadistes qui continuent de s'infiltrer à travers les frontières poreuses du pays sont les premiers à être dénoncés par la population.

"A l'heure actuelle, les formations lourdes américaines – la 3e division d'infanterie mécanisée dans le secteur Karbala–Najaf et la 1ère force expéditionnaire des Marines dans le secteur Nasiriyah–Al Kut – n'ont pas les ressources nécessaires pour reprendre le rythme fulgurant de leur avance. En fait, pour assurer ses lignes de communications longues de plusieurs centaines de kilomètres, le Ve Corps US a par exemple dû engager une brigade de la 101e division aéromobile et des éléments de la 82e division aéroportée, renforcés d'au moins un bataillon blindé/mécanisé issu de la 3e d'infanterie."

Une analyse qui s'approche de la vérité, puisque les formations lourdes ne pourront effectivement plus avancer 130 km par jour comme elles l'ont fait précédemment. A ce stade, j'avais compris que la coalition avait engagé au moins une partie de ses réserves, mais je n'avais pas saisi – l'information était évidemment dissimulée par le Central Command – qu'il s'agissait de leur totalité. Ainsi, ce sont les 3 brigades de manœuvre de la 101e qui ont été déployées autour de Karbala, Najaf et quelques autres villes de moindre importance, afin de remplacer les troupes de la 3e DI qui jusqu'ici en verrouillaient les issues. De même, c'est toute la brigade de la 82e qui a été engagée dans le secteur de Samawah, également avec un appui blindé. Ces déploiements avaient clairement pour but de prendre des villes le long de l'Euphrate et de libérer des ressources au profit des formations lourdes. Il en allait de même dans le secteur des Marines, avec l'arrivée au Koweït de la 24e MEU et son déploiement prévu au sud.

"Au centre du pays, il faut donc s'attendre à un "grignotage" progressif des positions de la Garde républicaine, celle-ci allant subir un pilonnage à même de réduire drastiquement ses capacités opérationnelles, alors que les villes de Najaf et de Nasiriyah devraient être largement conquises, en raison précisément de leur proximité des lignes de communication alliées. Au sud du pays, les forces britanniques vont tenter de faire de même avec la grande ville de Bassorah, ce qui paraît difficilement possible en une semaine."

De ce fait, l'analyse est ici partiellement juste, puisque ce n'est pas un "grignotage" qui aura lieu – ce d'ailleurs à quoi s'attendait les commandants terrestres – mais bien une percée décisive. J'avais compris que la puissance aérienne réduirait terriblement les divisions de la Garde républicaine, mais j'ignorais que c'était alors déjà largement le cas : la conjugaison bombes guidées + contrôleurs au sol a multiplié l'effet des frappes. En revanche, j'ai bien compris la nécessité de prendre les villes de Najaf et Nasiriyah, même si je doutais que leur prise puisse se faire facilement – ce qui se produira pourtant à Najaf. Enfin, la prédiction concernant Bassorah s'est vérifiée, puisque les Britanniques parviendront à la prendre 9 jours plus tard, le 7 avril.



La reprise de l'avance

Le dimanche 30 mars, la machine militaire américaine a repris sa marche en avant: réapprovisionnée en suffisance, la 3e division d'infanterie a engagé une brigade dans une manœuvre de diversion sur la ville de Hindiyah, près de l'Euphrate, pendant que la 101e division aéromobile s'est lancée avec une brigade dans la prise de Najaf. Au centre du pays, les Marines ont poursuivi leur poussée sans grande résistance et atteint Diwaniyah. Ma chronique pour Le Temps, parue le 31, était consacrée aux bombardements de l'aviation alliée.

Affirmation

Evaluation

"On assiste ces jours à une phase de transition: ce ne sont plus les infrastructures de commandement qui sont principalement attaquées, avec pour objectif de couper le régime de ses forces, mais les troupes irakiennes elles-mêmes qui deviennent les cibles, principalement la Garde républicaine."

Une analyse juste, même si elle retardait probablement de quelques jours. En fait, après l'ouverture de la campagne aérienne qui avait pour but de frapper principalement le commandement irakien, la priorité est rapidement devenue la destruction des forces terrestres. Sur la totalité des frappes aériennes, seuls 9% ont visé le régime de Saddam Hussein, contre 78,4% pour les formations de combat irakiennes. On imagine l'effet des 15'592 attaques qu'elles ont subi, surtout avec 68% de munitions guidées.

"Si les Irakiens sont aussi habiles que les Serbes, ils peuvent résister longtemps à des attaques purement aériennes. [...] Mais la donne changera du tout au tout quand la poussée aéroterrestre sera pleinement reprise, car si se disperser est la meilleure solution pour éviter les frappes aériennes, c'est la pire pour résister à une attaque terrestre. C'est à mes yeux un dilemme insoluble pour les Irakiens, qui n'auront pour seule solution que de quitter leurs positions autour de la capitale pour se replier vers le centre de Bagdad. "

Cette analyse, qui doit beaucoup aux enseignements tirés des combats en Afghanistan, s'est pleinement vérifiée. Les remarquables effets interarmes et interarmées déployés par les formations de combat US ont permis de balayer promptement toute résistance statique, mais aussi d'intercepter et de pilonner toute tentative de repositionnement. Dans les faits, la pression constante de l'aviation alliée a progressivement disloqué les forces irakiennes, et en particulier la Garde républicaine, dont jusqu'à 70% des effectifs ont déserté avant même d'entrer en contact avec les avant-gardes américaines. Les premiers combats suffiront à faire s'effondrer le reste, sans ce repli sur Bagdad que les planificateurs alliés avant tant redouté.

"Les services de renseignements et de gestion de l'information et de la communication ont joué un rôle important dans les bombardements, dont la planification a été fortement accélérée: il fallait septante-deux heures pendant la guerre du Golfe pour repérer une cible, acquérir des images, l'ajouter à une longue liste d'autres objectifs et décider de l'attaquer. En Afghanistan, ce délai est tombé à douze heures, et il est aujourd'hui de quelques heures à peine."

Cette remarque sur l'accélération du complexe détection-évaluation-frappe est correcte, quoiqu'elle aurait nécessité des précisions supplémentaires. En effet, ce délai s'applique à la détection d'une nouvelle cible et donc à tout le processus nécessaire à son approbation (ce qui comprend systématiquement la prise en compte des questions légales et des dommages collatéraux), et bien entendu pas une demande d'appui aérien rapproché faite par des contrôleurs avancés ou des leaders au sol. De plus, les Alliés ont mis sur pied une structure spécialisée dans le ciblage rapide, avec un processus complet et des moyens propres; 156 frappes de ce genre ont été déclenchées en moins d'une heure à partir de la détection, dont 2 censées viser Saddam Hussein.

 

Le 31 mars, le mouvement des formations lourdes reprenait une allure élevée, notamment grâce aux Marines qui ont franchi plus de 70 km en direction de Bagdad. Les combats se sont poursuivis à Najaf et à Hindiyah, où un pont majeur sur l'Euphrate a été capturé, pendant que les 2 brigades de la 3e DI se préparaient à attaquer. De toute évidence, la poussée sur Hindiyah est parvenue à fixer des forces de la Garde républicaine à l'est de l'Euphrate, alors que c'est à l'ouest que l'effort principal allait être déclenché. De plus, les chasseurs-bombardiers A-10 commençaient à utiliser l'aérodrome de Tallil, au sud de Nasiriyah, et ainsi augmentaient leur pression sur les forces irakiennes. Ma colonne dans Le Temps, publiée le 1er avril, examinait quels événements pouvaient faire basculer le conflit.

Affirmation

Evaluation

"En résumé, deux événements pourraient faire basculer le conflit. Premièrement: la prise de Bagdad et la capture ou la mort de Saddam Hussein, ce qui permettrait d'éradiquer le régime. C'est ce que les Américains tentent de faire."

Cette analyse prend un relief certain dans le cadre du conflit de basse intensité que mènent aujourd'hui les troupes US dans le "triangle sunnite", près de 4 mois après y être entrés. La prise de Bagdad à elle seule n'était effectivement pas suffisante pour mettre fin à toute résistance. Il reste cependant à démontrer que la mort ou la capture de Saddam Hussein, certes un obstacle majeur à la stabilisation, en soit le dernier.

"A l'inverse, et c'est le plus grand risque pour les coalisés, la perpétration d'actes terroristes à grande échelle, en Irak mais également contre des intérêts américains dans le monde ou sur territoire américain, pourrait en combinaison avec une forte résistance dans les villes irakiennes affaiblir à terme le soutien de l'opinion publique américaine."

Dans mon esprit, et je n'ai pas changé d'avis, le soutien de l'opinion publique intérieure constitue le centre de gravité des Etats-Unis. Les actes terroristes ont été modestes, même en Irak, mais la guérilla qui s'y est substituée dans une petite partie du pays constitue une résistance qui peut à terme poser problème. Cette analyse n'a donc pu être démontrée, car le succès militaire allié a été bien trop rapide pour que les pertes ne dépassent un seuil minime. En 4 mois, les USA ont perdu moins d'hommes qu'en un seul jour au Liban – en l'occurrence les 241 Marines tués le 23 octobre 1983.

"Une reddition ou un exil de Saddam étant exclus, il n'y a actuellement pas d'autre voie que la solution militaire. Mais, pour les coalisés, après avoir coupé la tête du régime, il leur faudra encore couper les membres les plus importants. C'est ce que les Britanniques ont commencé de faire à Bassorah, et c'est ce que font les Américains en pilonnant la Garde républicaine."

Cette analyse est pertinente, et c'est précisément ce que les Américains ne sont pas parvenus à faire dans le "triangle sunnite": à partir du 9 avril, le régime de Saddam Hussein s'est totalement volatilisé, ses piliers ont pris la fuite alors qu'ils croyaient pourtant Bagdad imprenable. Au lieu d'être défaits dans une résistance frontale, les fidèles des régimes ont ainsi pu se disperser au sein de la population sunnite, se réorganiser et préparer la résistance qui est aujourd'hui responsable des attaques anti-américaines. Se concentrer sur les 55 principaux dignitaires était en fait insuffisant – ce que les Américains ont d'ailleurs compris.

 

Ceci conclut la deuxième partie de cette analyse. La première, la troisième et la quatrième sont en ligne.




Maj EMG Ludovic Monnerat    







Haut de page

Première page





© 1998-2003 CheckPoint
Reproduction d'extraits avec mention de la provenance et de l'auteur